Indignons-nous ?

Leur indignation et la nôtre

Est-il convenable d’aller à l’encontre d’un succès de librairie fût-il de gauche, est-il convenable dans la situation politique, intellectuelle, sociale où est notre pays de critiquer un texte qui appelle à refuser l’état de fait ? Peut-être pas, et pourtant pour ces mêmes raisons il importe de réfléchir à ce que dit ce texte et, passant, à dégonfler quelques baudruches.

Le CNR, un fantôme

Dès les premières pages, Stéphane Hessel montre la couleur, il met en scène l’illusion. Cette référence à ce CNR, comme incarnation de la nation me laisse tant soit peu pantois. C’est oublier un peu vite qu’il fut composé de gens provenant des partis qui d’une façon ou d’une autre avaient rendu incontournable cette guerre contre le nazisme, auquel leur résistance les lave de tout péché originel. C’est oublier que la SFIO (parti socialiste) ne voulant pas prendre ouvertement parti en Espagne est coresponsable de la première défaite devant le fascisme triomphant. C’est oublier que l’autre parti, communiste, a défendu en son temps un traité de non-agression avec Hitler et un peu avant avait assassiné la révolution espagnole. C’est donc ces gens qui, pour Hessel, incarnent le peuple de France ! Le rappel de ces faits pour nécessaire qu’il soit ne doit pas cacher l’extraordinaire dynamisme de l’auteur et son refus des convenances. En même temps, il exprime son admiration pour ces enseignants qui font preuve de désobéissance civile au risque que l’on connaît. Il en fait des exemples à suivre en disant qu’il en soutient l’action. Personne parmi les commentateurs ne relèvera ce fait.

Hessel fait de la résistance au nazisme une suite logique de l’indignation. J’ai beaucoup de mal avec ce terme qui a un petit côté « dame de charité ». J’aurais préféré et je préfère celui de refus. Pour moi, c’est la suite logique de la colère, de la révolte, c’est celui qui amène à l’insoumission.

Plus loin on assiste à un drôle de mélange où le régime stalinien apparaît malgré ses mauvais côtés comme une défense face au capitalisme américain alors qu’ils n’étaient au fond que les deux côtés de la même pièce.

Les raisons de l’indignation selon S. Hessel

L’immense écart entre les très riches et les très pauvres, la non-application de la charte des droits de l’homme à la rédaction de laquelle il a participé. Cela paraît un peu court comme raisons, nous pourrions sans forcer en ajouter bien d’autres. Dans l’exposé des motifs retenus lors de l’élaboration de cette déclaration, S. Hessel ajoute la lutte contre le totalitarisme. C’est bien mais, à ce propos, il ne mentionne qu’Hitler et le génocide, Staline et le goulag sont curieusement oubliés.

 Et la Palestine ?

Il lui a fallu le rapport Goldstone pour qu’il réalise que le colonialisme israélien n’a rien à envier à tout autre colonialisme. Quand la Naqba a eu lieu, S. Hessel était un diplomate reconnu. A-t-il dit quelque chose ? C’est bien de parler aujourd’hui haut et fort, mais ne serait-ce pas un peu tard ? Quand il dit « que des juifs puissent perpétrer eux-mêmes des crimes de guerre, c’est insupportable », c’est très bien mais, au fond, s’agit-il de juifs ou de citoyens d’un pays militariste et colonialiste ?

Avant d’être juifs ils sont Israéliens, le judaïsme n’est que la religion qui habille leurs actions.

 La non-violence, le chemin !

Je défie quiconque de comprendre de quoi Hessel nous parle. Il y a dans ces lignes un savant mélange entre violence nécessaire mais inefficace, Sartre et sa compréhension du terrorisme et son soutien au même quand il s’agit de l’Algérie, M.L.King et Mandela (Gandhi n’est pas cité), non-violence et négociation, puis une citation d’Apollinaire sur l’espoir force dominante de la révolution. Que la non-violence, avec un trait d’union, soit une façon de se confronter aux pouvoirs, nulle mention. En fait sa non-violence est le refus d’utiliser la violence, pas plus.

 L’insurrection pacifique…

La non-violence refait son apparition avec l’exemple de la manifestation hebdomadaire des habitants de Bi’lin contre le Mur qualifiée par le pouvoir israélien de terrorisme non-violent. Mais nulle mention du fait que l’on y trouve des « internationaux » comme des citoyens israéliens, sans parler de nos amis les Anarchistes contre le mur.

La pensée productiviste est épinglée, la décolonisation, la fin de l’empire soviétique, la chute du mur sont qualifié de progrès, bon pourquoi pas ? Un grand paragraphe est consacré aux conférences des Nations unies, saluées comme des avancées importantes sur l’environnement ou sur les femmes…

Ce texte se termine par la reprise en forme d’exhortation du plus hypocrite des textes qui soit, celui du CNR déclarant que le nazisme est vaincu mais que notre colère contre l’injustice est toujours intacte. De la même façon, qu’alors il n’y avait pas un mot contre le stalinisme et son emprise sur l’Europe orientale, ni contre l’Espagne franquiste et le Portugal de Salazar, il n’y a aujourd’hui pas de mot contre le capital et l’argent roi.

Au fond, ce que dit le succès de ce texte, c’est que dans notre société défaite dans la bataille des retraites, cassée par le parler vrai de qui vous savez, la moindre illusion de lumière apparaît comme une bouffée d’oxygène.

Pauvres de nous !

Pierre Sommermeyer

31 janvier 2011

 

1. Le Conseil national de la Résistance (CNR) fut l’organe qui dirigea et coordonna les différents mouvements de la Résistance intérieure française, de la presse, des syndicats et des membres de partis politiques hostiles au gouvernement de Vichy à partir de mi-1943.

2. Les Palestiniens parlent d’al-Naqba (catastrophe) mais en pensant à la période où après la victoire des forces sionistes une bonne partie d’entre eux a vécu un exode.

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