Comprenez-vous, monsieur, je ne suis pas de ceux qui éprouvent l’inepte besoin de penser qu’ils pensent avant que de commencer à.
Aussi, c’est sans préavis qu’il m’est venu, subitement, dans mon bain comme Archimerdre, des résultats. Que je me sois trouvé à la minute précise en train de me passer les précieuses au savon (Cashmere Bouquet de Colgate ; le point peut avoir son importance un jour) a sans doute une part dans l’éblouissement qui m’atteignit soudain.
Boris Vian, extrait de Cantilènes en gelée
L’état civil vous a doté de deux prénoms pour le prix d’un. Vous vous appelez, en effet, Boris Paul Vian. Vous portez en bandoulière le prénom de votre père et l’admiration de votre mère pour un certain Boris Godounov. Très vite, vous vous êtes surnommé autrement : Bison Ravi ou Bisonduravi pour les intimes, Hugo Hachebuisson, Andy Blackshick, Xavier Clarke, Michel Delaroche, Otto Link, Josèfe Pignerole, S. Culape, Gédéon Molle pour les passionnés de jazz, Vernon Sullivan pour les amateurs de polars, Zéphirin Hanvélo, Onuphre Hirondelle, Agénor Bouillon en duo avec Henri Salvador, Joëlle du Beausset ou Amélie de Lambineuse pour transgresser les genres, Gérard Dunoyer, Lydio Sincrazi, Boriso Viana, Fanaton, Eugène Minoux pour présenter des 45-tours de votre choix, Jules Dupont pour signer votre Traité de civisme, Gédéon Mauve en hommage au savant Cosinus et même Aimé Damour pour le Manifeste du Cocu (Comité d’organisation des consommateurs et usagers)…
Valère-Marie Marchand
extrait de Boris Vian, le sourire créateur
Sa date de naissance
sa date de décès
ce fut langage chiffré
Il connaissait la musique
il savait la mécanique
les mathématiques
toutes les techniques
et les autres avec
On disait de lui qu’il n’en faisait qu’à sa tête
on avait beau dire
il en faisait surtout à son cœur
Et son cœur lui en fit voir de toutes les couleurs
son cœur révélateur
Il savait trop vivre
il riait trop vrai
il vivait trop fort
son cœur l’a battu
Alors il s’est tu
Et il a quitté son amour
il a quitté ses amis
mais ne leur a pas faussé compagnie.
Boris jouait à la vie
comme d’autres à la Bourse
aux gendarmes et aux voleurs
Mais pas en tricheur
en seigneur
comme la souris avec le chat
dans l’écume des jours
les lueurs du bonheur
comme il jouait de la trompette
ou du crève-cœur
Et il était beau joueur
sans cesse il remettait sa mort
au lendemain
Condamné par contumace
il savait bien qu’un jour
elle retrouverait sa trace
Boris jouait à la vie
et avait des bontés pour elle
Il l’aimait
comme il aimait l’amour
en vrai déserteur du malheur
Jacques Prévert