Noam Chomsky

Je me suis senti attiré par l’anarchisme dès le début de l’adolescence, c’est-à-dire dès l’instant où j’ai commencé à m’ouvrir au monde, et je n’ai jamais trouvé de raison de réviser mes positions depuis. Je pense qu’il est bien naturel de rechercher et d’identifier les structures d’autorité, de hiérarchie et de domination dans tous les aspects de la vie, et de les remettre en question; à moins qu’elles puissent être justifiées, elles sont illégitimes et devraient être démantelées, de façon à faire place à une plus grande liberté humaine. Je parle ici du pouvoir politique, du droit de propriété et du patronat, des relations entre hommes et femmes, entre parents et enfants, de notre contrôle sur le sort des générations futures (qui est à mon avis le fondement moral du mouvement environnemental), et de
bien d’autres choses encore.

Bien entendu, c’est là tout un défi face aux gigantesques institutions de coercition et de contrôle telles que l’État, et face aux injustifiables tyrannies privées qui contrôlent en presque totalité l’économie nationale et internationale, etc., mais ça ne s’arrête pas là. Ce que j’ai toujours considéré comme étant l’essence de l’anarchisme, c’est précisément cette conviction que le fardeau de la preuve doit être imposé à toute forme d’autorité, qui doit être démantelée si cette preuve de légitimité ne peut pas être faite. Il arrive parfois qu’elle puisse l’être : si je me promène
avec mes petits-enfants et qu’ils s’élancent vers une rue pleine de monde, j’utiliserai, pour les en empêcher, non seulement l’autorité mais aussi la coercition physique. Ce geste doit être remis en question, mais je crois qu’il peut très bien être justifié. Et il y a d’autres exemples du genre. La vie est complexe, nous ne comprenons encore que très peu de choses au sujet des êtres humains et de la société, et la généralisation est souvent plus dommageable que profitable. Mais je crois que, en soi, l’idée de remettre en question toute forme d’autorité peut nous faire avancer. Quand nous parvenons à dépasser les généralités, nous nous mettons à réfléchir sur des cas spécifiques, et c’est alors qu’émergent les questions d’intérêt humain.

par Noam Chomsky

Je veux croire que les êtres humains ont un instinct de liberté, qu’ils souhaitent véritablement avoir le contrôle de leurs affaires ; qu’ils ne veulent être ni bousculés ni opprimés, ni recevoir des ordres et ainsi de suite ; et qu’ils n’aspirent à rien tant que de s’engager dans des activités qui ont du sens, comme dans du travail constructif qu’ils sont en mesure de contrôler – ou à tout le moins de contrôler avec d’autres. Je ne connais aucune manière de prouver cela. Il s’agit essentiellement d’un espoir placé dans ce que nous sommes, un espoir au nom duquel on peut penser que, si les structures sociales se transforment suffisamment, ces aspects de la nature humaine auraient la possibilité de se manifester.

-> Noam Chomsky

Quand je refuse de relier mon travail linguistique à mes analyses des affaires contemporaines et de l’idéologie, c’est pour ne pas contribuer à l’illusion selon laquelle ces questions exigent des connaissances techniques.

Noam Chomsky
extrait de Dialogues avec Mitsou Ronat

=> présentation :
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Né en 1928 à Philadelphie, Noam Chomsky est aujourd’hui un chercheur reconnu pour ses travaux de linguistique au Massachusetts Institute of Technology (MIT) à Boston. Militant anarchiste de longue date, il a publié d’importantes et nombreuses critiques de la politique extérieure des États-Unis et du fonctionnement des médias ; il compte au nombre des collaborateurs réguliers de Z-Magazine, un collectif qui travaille à promouvoir une alternative à la société de consommation capitaliste.

Le premier texte est la retranscription d’une entrevue accordée par Noam Chomsky à Peter Jay en juillet 1976 pour le compte de l’émission londonienne « The Jay Interview ». Il fut publié dans The New Review la même année sous le titre « How to be an anarchist : noam Chomsky talks to peter Jay », et repris quelques années plus tard à Montréal, aux éditions Black Rose Books, dans un recueil présenté par carlos Otero.

En 1970, Noam Chomsky présente la traduction anglaise de « L’Anarchisme », un livre de Daniel Guérin (initialement paru en 1965 aux éd. Gallimard) qui lui donne l’occasion d’exposer quelques-uns des chemins pour arriver à une société libertaire.

Loin d’être le lieu exemplaire d’une expérience libertaire au service de l’humanité, l’Union soviétique a toujours représenté aux yeux de Noam Chomsky une immense faillite de la pensée. Il s’explique à ce sujet dans un texte publié à l’origine dans la revue « Our Generation » et repris plus tard à Montréal, aux éditions Black Rose Books. Intitulé « URSS et socialisme », ce texte fut d’abord commandé par une revue trotskiste, qui décida finalement de le censurer…

En mai 1995, lors d’une entrevue accordée à Kevin Doyle de Red and Black Revolution, Chomsky revenait sur sa conception de l’anarchisme et faisait part des perspectives d’avenir qu’il entrevoit pour le socialisme tel qu’il se présente aujourd’hui. Nous publions ici pour la première fois en français cet important entretien.

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