Chronique de la désobéissance n° 70 : Les rapports sociaux de classe – 29 novembre 2012

Achaïra, 29 novembre 2012

Les rapports sociaux de classes

Ce que propose à son lectorat Alain Bihr, notre camarade communiste libertaire, dans ce texte court * et d’une très grande densité, c’est « une grille d’analyse marxiste des rapports sociaux de classes, qui n’exclut ni des emprunts à des auteurs et traditions non marxistes ni des écarts par rapport à une certaine orthodoxie marxiste… »

Pour lui, « les sociétés contemporaines se présentent toutes comme des ensembles à la fois segmentés, hiérarchisés et conflictuels », ensembles qui donnent naissance à des classes sociales.

Chaque classe, à des degrés divers, est animée par une conscience de classe qui la constitue en un acteur collectif qui déploie une culture commune ; et chaque classe présente des conditions d’existence plus ou moins identiques.

Surtout, les classes se caractérisent par leur accès ou non à la propriété des moyens sociaux de production, par leur place dans la division sociale du travail et par la répartition de la richesse sociale.

La répartition des ressources sociales étant essentiellement injuste, en résultent des conflits de plus ou moins grande intensité pour obtenir le pouvoir, la richesse et la culture : c’est la lutte des classes.

Cependant, le fait de partager l’appartenance à une classe ne conduit pas chacun de ses membres à être solidaire de sa classe.

Sans nier complètement l’existence de classes sociales, d’autres sociologues préfèrent analyser la société en un empilement de couches ou de strates où les individus sont atomisés et s’opposent les uns aux autres. Il n’y a alors pas de lutte de classes mais une lutte pour les places. C’est l’image qu’assument les tenants de la société capitaliste.

Entre ces deux thèses, l’une qui, grosso modo, valorise l’action collective et l’autre qui met l’accent sur l’autonomie de l’individu non solidaire, il faut choisir ; et Alain Bihr choisit la première avec l’ouverture d’analyse déjà signalée plus haut.

Nous suivrons comme lui, en l’adoptant, cette présentation très fouillée de la société capitaliste, comme la firent leur, en leur temps, Bakounine ou Cafiero, qui reconnurent, sur cet aspect, la qualité du travail de Marx. Ce qui ne nous empêchera pas, comme le fait d’ailleurs Alain Bihr, d’aller voir ailleurs. Disons que cet ouvrage, au discours éminemment pédagogique, détaille au plus près le vocabulaire adéquat à cette analyse − force de travail, marchandise, plus-value, valeur, etc. − et que cette lecture, qui se devra d’être attentive, peut être une excellente introduction à la compréhension de notre société et de ses mécanismes sociaux et économiques.

Pour Alain Bihr, « les classes sociales n’existent pas en dehors des rapports qui les lient de multiples manières ». Et il divise schématiquement la société en quatre classes : les bourgeois (propriétaires et gestionnaires du capital), les prolétaires (producteurs qui ne disposent pas de moyens de production qui leur soient propres), les cadres (agents du capitalisme aux salaires élevés) et les petits-bourgeois (commerçants, artisans, intellectuels, petits paysans, etc.). Ėtant entendu qu’une circulation toute relative des individus peut se faire d’une classe à l’autre.

Ces « rapports de classe constituent des architectures dont les fondements gisent en définitive dans les rapports sociaux de production qui constituent la base socio-économique du capitalisme ». Ces « rapports de classe », complexes et nuancés, sont donc des rapports de domination, d’exploitation et d’aliénation. Ce sont des rapports de lutte, des rapports conflictuels.

Conflictuels. C’est sur ce dernier point que nous voudrions nous arrêter momentanément.

Si la lutte des classes prend de multiples formes et présente différents degrés d’intensité : grèves partielles ou grève générale, sabotages, boycottage, négociations entre patrons et ouvriers, compétitions électorales diverses, critiques idéologiques, etc., Alain Bihr note pour autant que « la lutte des classes n’est que rarement une guerre de classes ».

Cependant, qui dit conflit, s’il ne dit pas guerre, dit choc, dit violence et désordre ; du moins pour nombre de gens.

C’est alors que l’Ėtat s’attribue un rôle d’arbitre pour garantir la paix sociale, pour maintenir l’« ordre symbolique de la société » ; un Ėtat, instance prétendument neutre et qui se veut en dehors ou au-dessus de la mêlée générale. Mais l’Ėtat, à n’en pas douter, n’est lui-même que partie prenante du système, avec entre autres sa bourgeoisie d’Ėtat et avec ses dirigeants politiques. Il fonctionne de fait comme un « instrument » de la domination de classe et il sert fondamentalement les intérêts de la classe dominante.

Le conflit donc, que ne peuvent éviter les prolétaires, peut présenter des variations de basse, moyenne ou forte intensité, ou d’intensité nulle dans la violence ; et c’est cette dernière qui retient quelquefois des esprits pacifiques ou partisans de la non-violence à s’engager dans l’action ouvrière. Il est ainsi caractéristique que la plupart des actions non-violentes restent plutôt des actions marginales, comme la lutte contre l’étalage trop grand de la publicité, la lutte partielle contre l’armée, contre les armements, contre le nucléaire, etc. À noter cependant un effort important accordé à l’éducation.

Mais il est caractéristique qu’on ne veut que rarement remettre en question le statu quo social général de façon profonde. On est plutôt réformiste que révolutionnaire chez les non-violents. Avant d’appartenir à sa classe, on est d’abord un « citoyen » dans le cadre de l’Ėtat ; on est essentiellement le citoyen d’un Ėtat de droit qui à tendance à gommer la réalité des classes sociales.

Et ce d’autant que les classes sociales peuvent se décomposer, perdre leur conscience de classe, leur unité, et se retrouver ainsi dans un ensemble interclasses, vague, des partisans du « citoyennisme ».

Mais cette atomisation ne prélude-t-elle pas à un regroupement autre, la notion de prolétarisation s’élargissant à un plus grand ensemble ? Ou, en bref, une « classe moyenne généralisée » qui se prolétarise.

Par ailleurs − hypothèse à vérifier −, il semble que la galaxie « non-violente » française n’éprouve pas le besoin, le désir, ne veuille pas prendre en compte la culture ouvrière et prolétarienne. Le recrutement des non-violents se ferait plutôt dans la classe des « petits-bourgeois intellectuels » si l’on s’en réfère − sans vouloir être péjoratif et en toute objectivité − à la catégorisation d’Alain Bihr.

Rappelons cependant, pour nuancer et démentir notre propos, les actions de Gandhi en Afrique du Sud en faveur de ses compatriotes au bas de l’échelle sociale, rappelons son action pour les ouvriers en grève à Champaran, en Inde. Rappelons également l’action d’un César Chavez avec les ouvriers agricoles aux États-Unis. Et bien d’autres encore.

De toute façon, il s’agit de débattre, et demain est à venir…

Le temps imparti à cette chronique oblige à négliger nombre d’aspects de ce petit livre qui mériteraient approfondissement ; aussi, nous vous invitons à vous le procurer.

* Alain Bihr, les Rapports sociaux de classes,

Page deux éd., collection « Empreinte », 2012, 142 p.

Chronique à retrouver sur le site cerclelibertaireJB33

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