27ème Leçon d’autodéfense intellectuelle – Jeudi 29 novembre 2012
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27ème chronique raisonnable, pour :
o apprendre à soumettre à la critique les informations reçues
· prévenir les manipulations et
· démonter les croyances,
« Être libre, c’est ne plus avoir peur et être responsable de sa vie ».
Continuons notre exploration dont le but est d’établir un jugement rationnel, au travers de nos trois sources de connaissances que sont notre expérience personnelle, la science et les médias. Aujourd’hui encore, nous explorons l’étude de notre expérience personnelle, et plus particulièrement notre capacité à juger.
Mais rappelons-nous l’émission précédente ! Nous avons étudié notre mémoire. Nous avons vu comment nos souvenirs étaient en fait construits sous l’influence de nos attentes, désirs, croyances et savoirs. Nous avons découvert comment notre mémoire pouvait être faussée par des techniques nous abreuvant d’informations fausses, des techniques de mésinformation. Enfin, nous avons vu des moyens dits mnémotechniques pour nous souvenirs de listes d’informations.
Pour cette émission, il nous faut donc aborder notre capacité à juger et en découvrir les difficultés contre les évidences. Il s’agit de nous mettre en garde contre la tendance à s’en remettre trop vite et trop exclusivement à l’expérience immédiate pour former notre jugement.
Nous fonctionnons en bâtissant des « théories » ou des « schémas explicatifs » pour comprendre et interpréter le monde qui nous entoure. Ils nous permettent d’évoluer efficacement dans le monde qui nous entoure en y mettant de l’ordre. Cependant certains faits nous imposent de revoir nos théories. En fait, nous sommes assez souvent récalcitrants à remettre en cause ces schémas, quitte à aller jusqu’à nier l’évidence. Cela peut s’expliquer par le fait que nous ne retenions que les faits les plus extraordinaires au détriment de données plus fiables et dignes de confiance mais plus éloignées, difficiles d’accès ou moins extraordinaires. Ainsi si l’on s’en tient à la lecture des journaux, on croira que la criminalité contre la personne subit une hausse fulgurante, alors qu’elle diminue depuis des décennies.
Nous avons de grosses difficultés à évaluer intuitivement les probabilités. Prenons par exemple le paradoxe des faux positifs.
Supposons une maladie grave qui affecte une personne sur 1000 au sein de la population. Des tests existent pour dépister cette maladie. Mais ces tests sont légèrement imparfaits car ils ne détectent la maladie que dans 99% des cas, donc un malade sur 100 n’est pas détecté. D’un autre côté, il détecte la maladie alors qu’elle n’est pas présente dans 2% des cas, on appelle ces gens des faux positifs.
Ainsi lorsque le médecin annonce à un patient que son résultat au test est positif, la question se pose de savoir à quel point le patient doit s’inquiéter. La plupart des gens penseront que c’est a peu prés certain que le patient est atteint de la maladie. Pourtant, il a seulement 1 chance sur 23 d’être vraiment malade, si ce n’est pas une bonne nouvelle c’est moins terrible que ce que notre intuition pouvait nous laisser penser.
Cela mérite méditation pour tous les partisans des dépistages obligatoires de certaines maladies.
Pour ceux que ça intéresse, je mettrai dans l’article sur le site la démonstration[*].
Ce refus de l’évidence a pour conséquence de nous amener à ne pas prendre en compte ce qui infirme nos convictions et au contraire à ne prendre en compte que ce qui les confirme.
Imaginez une situation où vos convictions sont en contradiction avec votre comportement, il en résulte une tension, un malaise. Selon la théorie de la dissonance cognitive, vous chercherez à faire disparaître ou au moins à minimiser cette tension, le plus simplement et efficacement possible.
Ainsi si nous jugeons un de nos comportements immoral ou stupide, nous pourrions changer de point de vue afin de le trouver juste et sensé. Celui qui se perçoit comme doux et humain trouvera à sa victime des défauts pour justifier la violence qu’il a exercé à son encontre.
Au début des années 1950, une dame d’un certain âge, mademoiselle Keech, affirma recevoir des messages extraterrestres de la planète Clarion. Un jour, un de ces messages l’informa que le 21 décembre de cette année-là, la Terre serait détruite par un déluge effroyable, mais qu’un escadron de soucoupes volantes viendrait la sauver, ainsi que toutes les personnes qui seraient proches d’elle à ce moment.
Un groupe de fidèles s’attacha à la dame et attendirent la fin du monde en sa compagnie, en menant désormais une vie conforme à leur croyance : ils renoncèrent à tous les biens, quittèrent leurs emplois, se coupèrent de leurs amis et connaissances, … Parmi ces disciples se trouvaient également, incognito, des psychologues, qui souhaitaient observer le comportement des membres du groupe, en particulier le 22 décembre. Ces psychologues notèrent que les membres du groupe étaient inoffensifs, doux, qu’ils refusaient toute publicité et toute entrevue avec les médias, ne faisant aucun prosélytisme, vivant sereinement dans l’ombre selon leurs convictions.
Le 20 décembre, la dame reçut un nouveau message des habitants de Clarion, qu’elle transmit à ses adeptes : la fin approchait, ils devaient se tenir prêts, on viendrait les chercher à minuit précise. En outre, ils ne devaient porter aucun métal sur eux. On retira donc boutons et fermetures éclair de tous les vêtements.
Minuit vint et passa. Durant les heures qui suivirent, le désespoir et le désarroi du groupe étaient palpables. Mais à 4h45, mademoiselle Keech reçut des « Clarioniens » le message que leur action et leur foi avait sauvé le monde d’une calamité. En conséquence, leur transfert par soucoupe volante n’était plus nécessaire. Le groupe ne se tint plus de joie.
Ce qui se passa après cette nuit-là n’étonne que si on oublie le concept de dissonance cognitive.
Le groupe jusque-là discret se lança dans d’innombrables et passionnées campagnes pour faire connaître et défendre leurs idées. Son prosélytisme était sans borne. Les membres des groupes contactaient les médias, donnaient des conférence, prononçaient des discours dans les rues. Leur foi en mademoiselle Keech s’était trouvée renforcée par ce qui s’était passé, de leur point de vue.
Observons cette expérience de psychologie, appelée l’effet Forer. Ce professeur de psychologie soumet ses élèves à un test de personnalité et remet à chacun la description écrite de sa personnalité et demande à chaque élève d’évaluer le test en disant s’il a bien cerné sa personnalité (note 5) ou mal cerné (note 1). La moyenne des résultats confirmée sur des centaines d’expérience donne une moyenne de 4,2 sur 5. Ce test n’est pourtant pas exceptionnel car le professeur a en fait remis à chacun le même texte constitué à partir de bouts de phrases de prédictions astrologiques prises dans des journaux.
En voici un passage :
« Vous avez besoin d’être aimé et admiré des autres et pourtant, vous démontrez aussi une tendance à être critique envers vous-même. Bien que vous ayez quelques faiblesses de personnalité, vous êtes généralement capables de les compenser. Vous possédez de considérables capacités, que vous n’avez pas encore fait fructifier. Extérieurement, vous paraissez discipliné et en contrôle, mais intérieurement, vous tendez à être inquiet et anxieux. Il vous arrive d’avoir de sérieux doutes quant à la justesse d’une décision que vous avez prise ou d’un geste que vous avez fait. Vous préférez une certaine dose de changement et de variété. Vous seriez mécontent si on vous imposait des limites et des restrictions. Vous vous flattez d’être un penseur indépendant et n’acceptez pas les affirmations des autres sans demander de preuve satisfaisante. Cependant, vous savez aussi qu’il est peu sage d’être trop franc en vous dévoilant aux autres. Vous êtes par moment extraverti, affable et sociable et à d’autres moments introverti, réservé, circonspect. Certaines de vos ambitions ont tendance à ne pas être réalistes. »
Ainsi l’effet Forer est cette tendance à se reconnaître, avec un sentiment de précision, dans des descriptions ou analyses vagues et générales qui s’appliqueraient à n’importe qui.
C’est évidemment ce phénomène qui est à l’œuvre dans les lectures des lignes de la main, des tasses de thé, des cartes, tarots et autres.
Lors de notre prochaine émission, nous verrons d’autres expériences montrant comment notre capacité à juger peut être entraver, dont l’expérience de Milgram qui traite de la soumission à l’autorité.
Enfin, n’oubliez pas les conseils des émissions précédentes, ces conseils vous sont donnés pour laisser le moins de prise possible à l’émotion manipulatrice voulue.
Et retrouvez sur le site du cercle libertaire Jean-Barrué (http://cerclelibertairejb33.free.fr ) nos chroniques en référence au « Petit cours d’autodéfense intellectuelle » de Normand Baillargeon.
Alors, à la prochaine fois
[*] Soit les cas suivants : A : le patient a la maladie et B : le patient a un résultat positif au test.
On peut écrire pour le calcul des probabilités : P(A) = 0.001 ; P(B|A) 0.99 et P(B|non A) = 0.02 ; nous cherchons P(A|B) , la réponse est donnée par la formule de Bayes : P(A|B) = P(A) P(B|A) / (P(A) P(B|A) + P(non A) P(B|non A) )
Pour des précisions sur ces symbôles, relire la chronique N°14 du 9 février 2012
