Il faut changer le monde ! Achaïra, 6 octobre 2011

Il faut changer le monde !

Gaetano Manfredonia, Anarchisme et changement social –
insurrectionnalisme, syndicalisme, éducationnisme-réalisateur,
Atelier de création libertaire, 2007, 352 p.

Il va de soi qu’il n’est pas possible de rendre compte de façon exhaustive de cet ouvrage plutôt volumineux et à la typographie un peu serrée ; ouvrage qui ne craint pas d’approfondir et de nuancer les positions souvent trop schématiques de l’anarchisme.

L’auteur, en fouillant l’Histoire n’en reste pas moins très ouvert dans son approche.

Qui ne connaîtrait rien à l’anarchisme trouvera là une excellente présentation des pratiques si diverses des compagnons. Il y est peu question des femmes, et c’est regrettable.

En quatrième de couverture, une phrase résume sans doute l’essentiel de cet ouvrage : « L’anarchisme possède l’avantage indiscutable de ne pas se laisser enfermer dans une conception unique du changement social. » L’anarchisme est donc pluriel.

Gaetano Manfredonia, qui se réfère essentiellement au « faire » des anarchistes plutôt qu’à leurs idées, va formuler ainsi une nouvelle typologie qu’il va décliner en :

Insurrectionnalisme, syndicalisme, éducationnisme-réalisateur.

Chaque tendance proposant un acteur du « changement social ».

Ce sera schématiquement :

− Le « peuple » pour les anarchistes insurrectionnalistes ;

− Le « prolétariat » pour les syndicalistes ;

− L’« individu » pour les éducationistes-réalisateurs.

1. L’anarchiste insurrectionnaliste, c’est le plus connu, c’est quasiment l’anarchiste type, sempiternellement caricaturé, le partisan de la violence, celui que les médias confondent, avec légèreté, avec le terroriste.

Mais « un édifice basé sur des siècles d’histoire ne se détruit pas avec quelques kilos d’explosifs », écrit Kropotkine.

2. Le syndicaliste, lui, s’appuie sur la « classe ouvrière », sur les « travailleurs », avec comme arme principale la grève, mais il ne répugne pas à la violence et la juge plutôt nécessaire. Mais « l’utilisation de la violence pourrait devenir secondaire ».

3. L’éducateur-réalisateur. Je pense que cette typologie a la sympathie de l’auteur. C’est plutôt l’individualiste ancienne formule. Sont cités Armand, Lorulot, Libertad, etc.

Dans cette dernière typologie, l’accent est mis sur la question de la « servitude volontaire » dont il faut se dépêtrer individuellement et hors de l’action syndicale et sans violence insurrectionnelle.

Pour autant, on peut constater que cette classification ne s’ajuste pas complètement à la réalité. Car l’anarchiste, insoucieux des catégories, va piocher dans l’une ou l’autre des thèses, selon son goût, selon le moment : il « fait son marché », dit Manfredonia.

Il est noté cependant que la vision insurrectionnelle se trouve de plus en plus discutée. Pourtant, la vision révolutionnaire persiste comme posture dans le discours libertaire et dans sa presse.

De toute façon, le militant de base ne se préoccupe pas trop de savoir si son action quotidienne est réformiste ou révolutionnaire.

Qui dit révolution, insurrection, sous-entend violence.

Tout au long du livre, il en sera question.

Par exemple, Manfredonia écrit : « Le syndicaliste justifie également l’utilisation de la violence par la volonté de ne pas être limité dans ses activités militantes par le respect de la légalité bourgeoise ou démocratique ».

Je dis que là il y a confusion dans les termes : se mettre dans l’illégalité n’implique en rien l’utilisation de la violence.

Or cette confusion est récurrente dans l’esprit des militants.

Si le terme de « désobéissance civile » est cité par Manfredonia, ce n’est pour lui qu’une forme élargie de l’objection de conscience.

Par ailleurs, Manfredonia cite Bakounine qui écrivait :

« Il est sans doute fâcheux pour l’humanité qu’elle n’ait pas encore inventé un moyen plus pacifique de progrès, mais jusqu’à présent tout pas nouveau dans l’Histoire n’a été réellement accompli qu’après avoir reçu le baptême du sang. » C’est vrai, mais désobéissance civile et action non-violente ne seraient-elles pas ce moyen ?

En outre, on note que l’auteur confond « force » et « violence ».

Mais déjà Georges Sorel faisait de même dans ses Réflexions :

« La bourgeoisie a employé la force depuis le début des temps modernes, tandis que le prolétariat réagit maintenant contre elle et contre l’État par la violence ».

On a constaté, après la chute du mur de Berlin et la faillite des pays dits « communistes », qu’une espérance avait été déçue : on avait cru un instant qu’un espace politique s’était de nouveau ouvert. Cet appel d’air a permis au capitalisme néolibéral de s’engouffrer derechef dans la brèche.

Cependant, digérant cet échec, nous constatons que nombreux sont, dans le monde, ceux qui n’ont pas renoncé à une « rupture radicale », que la question sociale reste toujours posée.

Comme il est vrai que nombre de militants semblent à la recherche de « nouvelles voies qui [permettront] d’éviter les erreurs et les écueils sur lesquels ont échoué les expériences émancipatrices du passé ».

La question que Manfredonia pose avec justesse, c’est de savoir si l’anarchisme dans son ensemble n’est pas en train de prendre un tournant. Comme le changement de cap qui fut pris après la période dite « terroriste » vers le syndicalisme. Car l’anarchisme est malléable !

Quant à nous, quand nous regardons vers la désobéissance civile et l’action non-violente, c’est vers des voies relativement nouvelles que nous tournons les yeux.

Que la nuit soit propice à vos rêves !

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