« Welcome » de Philippe Lioret

                           La polémique

Le cinéma français répugne habituellement à aborder les questions de société : « La fiction de gauche » n’est pas digne d’un auteur qui doit se préoccuper avant tout de son nombril… Parfois, quelques réalisateurs choisissent néanmoins de traiter un sujet du temps présent. C’est le cas de Welcome de Philippe Lioret. À Calais, Simon (Vincent Lindon), un prof de natation, aide un clandestin à réaliser son rêve : rejoindre l’Angleterre et la femme qu’il aime… Ce faisant Simon traversera cette frontière invisible mais bien réelle entre deux mondes qui coexistent mais ne se rencontrent que très rarement. Par la même occasion, il découvrira que, dans notre beau pays, il ne fait pas bon être un étranger sans papiers et que porter assistance à ces êtres humains en détresse conduit hors la loi. La première demi-heure du film suit Bilal et montre, de manière très vériste, le fonctionnement des filières destinées à faire passer les passagers clandestins en route vers l’Eldorado britannique. Plus convenue, la suite se focalise sur Simon et sur sa relation avec Bilal.  Sauf surprise, Welcome aurait dû faire une carrière modeste car, en temps de crise, nombre de spectateurs rechignent à aller voir traiter des sujets trop proches du quotidien.

C’était compter sans l’intervention du ministre de l’Immigration et de l’Identité nationale, Éric Besson. Lors de son passage dans la région de Calais, le 27 janvier dernier, il s’était déclaré très ému : « On ne peut pas laisser ces personnes vivre dans ces conditions. C’est inacceptable ! » (La Voix du Nord du 28 janvier). Welcome qui le rejoint dans sa dénonciation aurait dû obtenir son soutien.  Mais, dans le cadre de la promotion du film, Philippe Lioret a osé établir un parallèle entre la situation actuelle et la période la plus noire de notre histoire récente : l’Occupation durant laquelle notre belle police secondée par nos braves gendarmes avait brillé dans son zèle à la chasse aux juifs et autres apatrides (ne jamais oublier nos camarades espagnols et allemands abattus par des balles françaises ou livrés à la Gestapo !). Dès lors, le tout nouveau ministre, en recherche de légitimité auprès de ses tout nouveaux amis, se devait de réagir. De plateau de télé en émission de radio, Éric Besson s’est répandu contre le film « truffé d’invraisemblances » : à preuve, entre autres, contrairement à l’avertissement de la femme de Simon : « Méfie-toi, à Dunkerque, un type a été condamné à cinq ans pour ça ! », la loi qui punit l’aide à personne en situation irrégulière n’est jamais utilisée contre des bénévoles, mais seulement contre des passeurs. Quant à « suggérer que la police française, c’est la police de Vichy, que les Afghans sont traqués, qu’ils sont l’objet de rafles, etc., c’est insupportable ».

Interpellés, Vincent Lindon puis Philippe Lioret ont défendu le film. Dans une interview dans Le Parisien du 7 mars, Vincent Lindon, bien sympathique malgré son manque de clairvoyance politique (aux dernières élections présidentielles, il soutenait François Bayrou !), exprime sa colère face aux atteintes au droit humain. Il termine son entretien par une remarque frappée au coin du bon sens : « Le mieux pour qu’une loi ne puisse pas être appliquée, c’est qu’elle n’existe pas ! » – qui ruine le pauvre argumentaire du ministre. Car, à quoi bon élaborer et faire voter une loi destinée à ne pas être effective ? D’autant qu’à y regarder de plus près et contrairement aux allégations du ministre, cette loi a bien été utilisée à l’encontre de bénévoles.

Le cas de Jean-Claude Lenoir, l’un des fondateurs de Salam, une association d’aide aux migrants, basée à Calais est exemplaire. Son militantisme l’a conduit, à trois reprises déjà, devant la justice. Une procédure pour outrages (encore une ! leur nombre a presque doublé en dix ans !) est actuellement en cours suite à son interpellation en novembre où, « conformément à la procédure », comme dirait la collègue de Besson à l’Intérieur, Jean-Claude Lenoir a été plaqué au sol et mis torse nu. Déjà reporté une première fois, le procès qui devait avoir lieu le 18 mars a été renvoyé au 23 juin par le tribunal de Boulogne-sur-Mer, histoire de laisser retomber le soufflet médiatique autour du film. Enfin, ce militant a déjà été condamné, sur la base de la loi incriminée mais « a été dispensé de peine » tient à préciser Éric Besson. Mais qu’adviendra-t-il s’il est à nouveau condamné ? Quoi qu’il en soit, Jean-Claude Lenoir doit vivre avec ces procédures à répétition et ces condamnations. Et si lui parvient à le faire parce que c’est d’évidence un militant déterminé, le message envoyé aux simples sympathisants est limpide : il y a danger à faire montre de solidarité avec les migrants. Circulez ! Y’a rien à voir ! Nous sommes bien en présence de tentatives d’intimidation par la criminalisation de tout mouvement social.

Dans une lettre ouverte parue dans Le Monde du 11 mars, Philippe Lioret interpelle le ministre : « Sachez qu’en l’occurrence, je ne mets pas en parallèle la traque des juifs et la Shoah, avec les persécutions dont sont victimes les migrants du Calaisis et les bénévoles qui tentent de leur venir en aide, mais les mécanismes répressifs qui y ressemblent étrangement. » Si on ajoute que les moyens de contrôle grâce notamment à l’informatisation des données (les factures d’électricité, de gaz et d’eau permettent de déceler sans problème les consommations atypiques) dont dispose le pouvoir aujourd’hui excèdent de loin celui de Vichy avec ses petites fiches manuscrites de la police politique d’avant-guerre, alors la vigilance est de mise.

Le 11 mars, avec une combinaison de 209 copies, Welcome est arrivé en tête des sorties du mercredi avec plus de 42 000 entrées et a terminé la semaine en deuxième position à près de 275000 entrées. Difficile d’évaluer l’impact de la polémique, en revanche, on ne peut que se réjouir du soutien involontaire du ministre si il a permis de grossir le nombre de spectateurs…

Mato-Topé
Le Monde libertaire, n° 1549, du 26 mars au 1er avril 2009.

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