À cheval et en tatchanka
Nestor Makhno, Mémoires et écrits, 1917-1932, Ivrea éd., 2009, 566 p.
Oui, c’est un gros bouquin, traduit du russe par Alexandre Skirda qui, dans sa présentation, retrace l’expérience historique d’une armée libertaire opérant en Ukraine dans les années 1920 ; ce que l’on a l’habitude de nommer : la Makhnovchtchina.
« Même animée par des anarchistes convaincus, une armée insurrectionnelle, avec les structures militaires qu’elle suppose, constituait un phénomène sans précédent et paradoxal, tout autant à l’égard de la doctrine anarchiste que de sa mise en œuvre », écrit Alexandre Skirda (p. 9).
Dans ses Mémoires, Makhno raconte comment, après avoir été condamné à mort, puis, trop jeune pour être exécuté, avoir été enfermé huit années durant en diverses prisons, il revint dans son village de Gouliaï-Polié et alors comment il entreprit avec les compagnons du groupe anarchiste de son village d’organiser paysans et ouvriers. L’homme Makhno brûlait d’une sorte de feu sacré qui embrasa les enthousiasmes de ses compagnons, il faut le dire. Et se pose la question de l’importance du meneur au sein des masses, de la nécessité d’un chef, d’un entraîneur, etc.
Les problèmes révolutionnaires du moment, en 1917, c’était la mise en commun des terres accaparées par quelques riches propriétaires, c’étaient les échanges directs de blé contre du tissu entre la ville et la campagne, et ce sans passer par l’intermédiaire de l’État, c’était l’organisation des collectivités agricoles, etc. Tout cela est décrit sans doute trop brièvement pour faire la part belle aux combats et aux engagements militaires contre les petliouristes nationalistes, contre les « blancs » réactionnaires et puis contre les communistes rouges.
Lancinant est le rappel fait de la volonté de Makhno, et de certains compagnons, de regrouper les anarchistes dans une organisation anarcho-communiste disciplinée, cohérente et efficace, idée qui se concrétisa dans un texte : la plate-forme dite d’Archinov, à laquelle s’opposèrent les anarchistes « synthésistes » ouverts, eux, à toutes les tendances.
Et nous appuierons cette dernière position des propos d’un militant libertaire lors d’une réunion internationale tenue à Genève en 1882 : « Nous sommes unis parce que nous sommes divisés. »
Mais avant de prendre parti pour les uns ou pour les autres, on pourra lire avec un certain plaisir cette grande épopée à cheval et en tatchanka, cette légère carriole paysanne équipée d’une mitrailleuse pour le combat.
C’est un véritable western social dans les steppes ukrainiennes qui est décrit, une épopée faite de violences, d’assassinats, d’exécutions, de bombes, de prisons, etc. C’est-à-dire, sûrement, la vision stéréotypée du grand public quand il pense à l’anarchisme.
Que retenir de ce moment de notre histoire ? Les forces étatiques ont partout triomphé de l’anarchisme, que ce soit en Ukraine, à Kronstadt, en Espagne ou ailleurs…
Et, certes, les temps ont considérablement changé. Pour autant, nous continuons à scruter les perspectives qui permettront de transformer le monde, nous continuons à défricher des voies pour rien de moins que ré-enchanter la vie !
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Subjectivité et illégalisme chez les désobéisseurs
Élisabeth Weissman, la Désobéissance éthique, Stock, 2010, 364 p.
Il y a des livres que l’on a en main et que l’on n’a pas trop envie de lire, sans trop savoir pourquoi : on craint le « déjà lu » ; la typographie n’est pas engageante… Bon ! Mais on y va quand même dans la lecture et, très rapidement, on se dit : « Oh ! Il est quand même pas mal, ce bouquin ! »
Oui, c’est le cas de ce Désobéissance éthique, « éthique », sans doute pour ne pas employer le terme de « désobéissance civile ».
Le lecteur trouvera là quasiment − je dis bien quasiment −, de A à Z, tous les cas de désobéissance civile que l’on dénombre ces dernières années :
A. Alain Refalo donc, et Bastien Cazals, et quelque 3 000 « désobéisseurs », des enseignants qui, en novembre 2008, refusent « en conscience » d’appliquer les directives de leur ministère, c’est-à-dire les nouveaux programmes imposés sans concertation, les évaluations réclamées, etc.
On pourra consulter le livre d’Alain Refalo, En conscience, je refuse d’obéir. Résistance pédagogique pour l’avenir de l’école, Éditions de îlots de résistance, 2010.
Et aussi celui de Bastien Cazals, Je suis prof et je désobéis, Éditions Indigène, 2009.
B. Base élèves : c’est l’établissement d’un fichier national auquel refusent de collaborer encore des enseignants ; fichier sur les enfants, dès leur plus jeune âge, à la recherche de leurs comportements déviants et qui donneraient des renseignements sur leur nationalité, leur langue et leur culture d’origine, leurs résultats scolaires, leur santé, etc. En bref, des enseignants refusent d’être des auxiliaires de police.
On pourra consulter le site de la Ligue des droits de l’homme de Toulon.
C. Comme conscience. Eh oui, il semble que la référence des désobéisseurs soit là, dans une certaine conception de la morale, dans quelque chose de tout à fait subjectif, de relatif. Mais c’est une conscience chatouilleuse qui s’appuie aussi sur le droit, sur les droits nationaux et sur le droit international. Il s’agit de contester « l’État de fait » pour lui préférer « l’État de droit » qui devrait défendre l’intérêt général et non pas les intérêts particuliers.
D. Comme désobéissance, civile ou civique. Comme « désobéisseur » ou « désobéissant ». Et ça continue jusqu’à Z.
Entre autres points abordés dans ce bouquin, on trouve une critique des syndicats qui, à quelques exceptions près, n’apportent pas leur soutien aux désobéisseurs parce que ces derniers sont délibérément illégalistes et que les syndicats, eux, collaborent plutôt avec le pouvoir, dans la légalité, à seule fin de voir reconnue leur représentation.
Par ailleurs, ces syndicats reprochent aux désobéisseurs une action individuelle, sans vouloir reconnaître que cette action a pour cause leur propre inaction ; et que cette action individuelle a pour vocation de devenir collective.
Il est donc question des faucheurs d’OGM, des déboulonneurs de pub, du réseau Éducation sans frontières, des militants de Droit au logement, des infirmières qui refusent la productivité, des guichetiers de La Poste qui ne veulent pas plumer l’usager, des insoumises de Pôle Emploi qui contournent, bidouillent souterrainement et refusent de faire de la délation.
Car, pour ce gouvernement, il s’agit, en fait, de détricoter les services publics et, sous le prétexte d’en « moderniser » le fonctionnement, de les livrer au privé. Comment s’opposer à ce tsunami libéral ?
Dans ce bouquin, il est même question des policiers qui refusent de faire du chiffre ou qui préviennent, la veille, les familles qu’ils vont rafler au petit matin.
Il est question des magistrats qui ne désobéissent pas à la loi mais qui désobéissent à l’interprétation de la loi que le pouvoir veut imposer ; il s’agit des agents EDF qui rétablissent le courant aux plus démunis : on les nomme les Robin des bois de l’énergie.
Il est question des agents forestiers qui par le « martelage » défendent la forêt contre les marchands de bois qui par leur avidité aux gains risquent de troubler les cycles de reproduction naturels. Et puis il y a ceux qui entrent en résistance pour défendre une petite plante rare, la nivéole, contre des initiatives de plantation prises en dépit du bon sens.
Et puis il y a le collectif des 39, des psychiatres contre la nuit sécuritaire.
Et puis il y a les chercheurs scientifiques qui ont sans doute échoué dans leur combat mais qui continuent à chercher… Quoi ? Des moyens de résistance.
Il s’agit aussi de résistance sémantique, à développer au niveau du vocabulaire particulièrement massacré par le petit homme au pouvoir et qui détourne le sens des mots : réforme, immobilisme, autonomie, idéologie, charges sociales, modernisation, etc.
C’est un livre militant, combatif avec des documents en annexes.
Vous savez que vous pouvez retrouver ces chroniques sur le site du cercle Jean-Barrué, et aussi bien d’autres choses. Tapez, tout attaché : cerclelibertaireJB33, vous finirez par tomber dessus.
Allez ! La bonne nuit à vous !
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