« Le grand silence » & « Silentium ! »

Le grand silence

de Wolfgang Murnberger

et Silentium ! de Philip Gröning

Fatale confusion !

Sortis presque à la même époque sur les écrans français, Le grand silence et Silentium ! sont malheureusement confondus par un trop grand nombre de spectateurs pressés et donc inattentifs. Il ne faudrait pourtant pas rater le second tant le ton satirique avec lequel Wolfgang Murnberger, le réalisateur autrichien, s’en prend aux puissants de Salzbourg, le parangon de la belle ville de province, devrait réjouir les lecteurs de notre journal. Alors que le premier réalisé par Philip Gröning, un cinéaste allemand, est consacré (c’est le cas de le dire) à la vie des moines contemplatifs de l’ordre des chartreux. Il convient de ne pas se tromper de salle dans les méandres des couloirs des usines à films.

Le grand silence tente un pari : faire sentir, non pas expliquer, à un spectateur d’aujourd’hui, cette expérience singulière que partagent les moines dans le silence et la solitude de leur refuge alpin. Tourné en DV et malgré ses 2 h 40,  Le grand silence est un succès en salle : il répond sans doute à un besoin de spiritualité… Il n’est pas sûr qu’un anar normalement constitué puisse tenir plus d’une heure même après avoir souri en constatant qu’à l’intérieur du monastère règne la bonne vieille division des tâches : les Pères prient dans le silence de leur cellule tandis que les Frères exécutent les travaux nécessaires à la vie du monastère. L’aube blanche des uns contre le tablier bleu des autres comme métaphore de toute théocratie.

Pour autant, en matière de choix de vie comme de sexualité, il n’y a rien à redire lorsque cela concerne des adultes consentants. Ou de choix en matière de cinéma et on doit se réjouir que ces deux films si dissemblables cohabitent sur nos écrans.

Adapté du roman de Wolf Haas (la lecture de ses polars est fortement recommandée aussi avec en premier lieu Vienne, la mort), Silentium ! (Grand Prix du Festival du film policier de Cognac) suit l’enquête de Simon Brenner, un privé ancien flic défroqué, engagé par la fille du directeur de l’opéra de la ville qui ne croit pas au suicide de Gottlieb Dornhelm, son mari. La suite donnera raison à la veuve éplorée : son époux a commis un péché vraiment mortel en publiant un livre dans lequel il accuse l’archevêque de Salzbourg d’avoir abusé de lui lorsqu’il était enfant.

Menées à un rythme effréné et avec un humour corrosif (la séquence où Brenner porte sa croix est vraiment hilarante !), les investigations de Brenner le conduisent dans le collège où Gottlieb (le fort mal prénommé) a été violé et qui sert de plaque tournante à un trafic de jeunes filles du tiers monde destinées à la prostitution, puis dans une maison close de grand luxe qui propose des perversions sexuelles très raffinées pour les grands de ce monde (l’urine des vierges est recommandée pour les cordes vocales des ténors et, après un gargarisme, une défloration redonne du cœur à l’ouvrage) et bien sûr à l’opéra. Nostalgique très convenable du nazisme (il conserve précieusement une machine à écrire identique à celle du Führer, silencieuse et dotée d’une touche spéciale pour le symbole SS), son directeur est prêt à tout pour faire tourner sa boutique qui, mondialisation oblige, est soumise à une concurrence féroce de la part des autres grandes scènes lyriques. Lors de son enquête, Brenner devra affronter des bons pères fort peu catholiques : certains sont pédophiles et d’autres proxénètes et, pour la bonne cause (la sauvegarde des intérêts de la Sainte Eglise), ils n’hésitent pas à faire appel à des tueurs qui manient avec dextérité la tronçonneuse pour se débarrasser de cadavres encombrants…. Quant à la police, spécificité autrichienne sans doute, elle entend avant tout protéger les puissants, quitte à accabler, sans pitié, les sans-grades et les petites gens. Bref, la Salzbourg de Wolfgang Murnberger présente une image fort peu convenable mais ô combien revigorante et réjouissante de la bonne société… autrichienne, bien sûr !

Mato-Topé

le Monde libertaire, n° 1465, du 15 au 21 février 2007.

Silentium ! Film autrichien de Wolfgang Murnberger avec Joseph Hader, Simon Schwartz, Joachim Krol, Mario Köstlinger et Udo Samel (1 h 56).

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