Chronique de la désobéissance : Solidaires et désobéissants

Solidaires et désobéissants

Solidaires est un beau mot ; il avait été employé pendant la guerre d’Algérie pour, au sein de l’Action civique non-violente, différencier les « réfractaires » à cette guerre de ceux – les « solidaires » – qui s’engageaient à suivre les premiers en prison.

« Désobéissants », et ses déclinaisons, est un autre mot qui nous est cher, car il ouvre la porte à la liberté : « Soyez résolus à ne plus servir et vous serez libres », écrivait La Boétie.

De nos jours, de plus en plus souvent, nous pouvons constater que ces mots et les pratiques correspondantes se retrouvent dans les informations de nos journaux, de nos écrans, etc.

Ainsi, deux numéros de la revue syndicaliste Les Utopiques font référence à l’acte de désobéissance que pratiquaient les réfractaires ; les désobéissances multiples que décrivent ces Utopiques ont, de plus, à lutter contre le détournement de l’état d’urgence décrété le 13 novembre 2015 pour lutter contre le terrorisme, détournement gouvernemental qui restreint en fait le droit de se réunir et de manifester et qui institutionnalise un état d’exception permanent ; manœuvre étatique que décrit magistralement l’avocat Jean-Jacques Gandini dans l’introduction au numéro 5.

Le texte qui suit est une analyse d’« inculpés dans l’affaire dite “de Tarnac” » qui décortique la pratique gouvernementale « antiterroriste » moins comme une forme de répression policière que comme un mode de gouvernement qui a pour but de mater la contestation sociale. Ils avancent :

« Les temps qui s’ouvrent, pour sombres qu’ils soient, offrent un boulevard paradoxal à la révolution : toutes les options gouvernementales ayant échoué, il ne reste plus qu’une question, et mille façons d’y répondre : comment vivre sans gouvernement ? »

En comparant avec le régime dictatorial de l’actuelle Éthiopie – et la comparaison n’est pas gratuite –, Malika Danoy écrit que l’« on retrouve cette idée d’impuissance des gouvernants à faire face à une crise qui dure et s’approfondit » et qu’ils sont prêts à tout pour se maintenir au pouvoir malgré leur incapacité à trouver des solutions à la question sociale.

« Contester dans l’armée », article de Théo Roumier, ce n’est pas contester l’armée : en mai 1974 est lancé l’Appel des cent, de cent soldats qui revendiquent, tel un quelconque syndicat ouvrier réformiste, une solde égale au smic, la gratuité des transports, la suppression des brimades, etc.

Mais c’est le 7 juin 1997, bien avant le décret d’état d’urgence, que les Faucheurs volontaires passent à la désobéissance civile non-violente contre les organismes génétiquement modifiés (OGM) avec nombre de procès à la clé. C’est ce que décrit en connaissance de cause Jean-Luc Juthier, lui-même paysan et faucheur volontaire. Il s’agit, au final, d’empêcher que « trois firmes transnationales prennent le contrôle de l’alimentation mondiale par l’appropriation de l’ensemble des semences existantes ».

« Les désobéissances sur le rail » de Christian Mahieux dresse un large tableau des militances cheminotes ; une des premières datant du 11 avril 1871 quand des ouvriers de l’atelier de Périgueux, solidaires de la Commune de Paris, refusèrent d’envoyer à Versailles des wagons blindés. Plus tard, lors de la grève de 1910, les cheminots n’hésitèrent pas à pratiquer différentes formes de sabotage : « Avec deux sous d’une certaine matière, utilisée à bon escient, il nous est possible de mettre une locomotive dans l’impossibilité de fonctionner. » On note que, déjà pendant la Résistance, le terme de « terroristes » était appliqué par l’occupant allemand à ceux qui « résistaient » ; aujourd’hui, le mot de « terroristes » est repris couramment par les divers pouvoirs pour qualifier des actes parfaitement non-violents.

Avec « Désobéissance à l’usine : la perruque ouvrière » – la « perruque » étant la fabrication d’objets à son usage personnel pendant le temps de travail en utilisant le matériel et les outils de l’entreprise –, Robert Kosman introduit la notion d’« illégalité » qui accompagne souvent un combat même lorsqu’il est non-violent.

C’est le « freinage au travail » que met en exergue François Reyssat dans « Résister à la domination dans le nettoyage » ; il s’agit pour la main-d’œuvre nettoyeuse de se réapproprier le temps et les espaces géographique et sociaux ; ce que ne comprend pas tout de suite l’auteur du papier, « établi » sur les lieux du travail le temps d’une thèse.

L’apparition d’« un collectif syndical contre l’aéroport à Notre-Dame-des-Landes et son monde », lors de la manifestation du 1er mai à Nantes – événement totalement ignoré de la grande presse –, est décrite par Jean-Luc Dupriez ; ce collectif « entend contester le projet d’aéroport à partir d’une approche syndicale différente et complémentaire des arguments déjà avancés par les autres composantes du mouvement anti-aéroport » ; collectif qui affirme :

« Nous ne laisserons pas détruire la ZAD et ses terres, ni expulser celles et ceux qui la font vivre, pour le seul intérêt des actionnaires de Vinci et des spéculateurs immobiliers. »

L’auteur note que cette manifestation du 1er mai s’est déroulée « sans chahut et sans casse de vitrines » et que c’est « cette convergence des luttes qui nous permettra de bousculer le vieux monde et de l’aider à s’écrouler ».

Un collectif similaire s’est constitué à Rennes.

Le mot « désobéissance(s) » figure en couverture du numéro 6 des Utopiques (bien sûr, d’autres thèmes tout aussi intéressants les uns que les autres sont abordés dans les deux numéros que nous citons). C’est pourquoi on ne s’étonnera pas que Laurent Degoussée, dans l’article d’ouverture de ce numéro 6 sur le « référendum d’entreprise », cite La Boétie.

« Pour que les hommes, tant qu’ils sont des hommes, se laissent assujettir, il faut de deux choses l’une : ou qu’ils y soient contraints, ou qu’ils soient trompés. »

Plusieurs articles sur les Nuits debout témoignent – toutes contestations confondues – de la recherche d’une parole libérée : « À la fin de la manif, on ne se disperse pas, on reste devant la préfecture, on discute de la suite. » Place à l’imagination, car on va à la découverte d’autre chose… Devons-nous voir des appels à la désobéissance quand « le collectif se réunissait chaque soir sur la place publique (sans autorisation !) » ?

« Contester l’armée » de Christian Mahieux semble une avancée par rapport à « Contester dans l’armée » du précédent numéro. Qu’en est-il ? L’auteur fut « objecteur insoumis » dans la période fin des années 1970, début des années 1980, avant l’abolition de la conscription en 1997 ; pour autant, on s’étonnera qu’il ne cite pas Réfractaires à la guerre d’Algérie, édité par Syllepse qui publie aussi… Les Utopiques. Par exemple, il n’aurait pas écrit que les objecteurs d’alors condamnés par les tribunaux militaires allaient en prison… militaire quand ils étaient tout simplement pris en charge par l’Administration pénitentiaire et mélangés aux… droits communs. Et la vision d’ensemble de l’auteur se serait pour le moins élargie.

Rappelons brièvement les faits : une culture de la désobéissance civile, en France, est née, dans un premier temps, d’une contestation de l’armement atomique, puis, pendant la guerre d’Algérie, de la dénonciation, en actes, des camps d’assignation à résidence pour les Algériens « suspects » ; elle se poursuit par le soutien, en actes, des jeunes réfractaires qui refusent de faire cette guerre coloniale. Un statut de l’objection obtenu, des dizaines de milliers de jeunes gens échappés à la machine militaire à décerveler ont pu transmettre, à l’exemple des objecteurs en service civil, leur expérience de la désobéissance (lire Civils, irrémédiablement ! Service civil et refus de servir, 1964-1969, à paraître au début de 2018 aux Éditions libertaires). Et l’aventure du Larzac (1971-1981) n’aurait pas été ce qu’elle fut sans d’anciens objecteurs travaillant sur les lieux qui firent intervenir Lanza del Vasto pour donner au combat sa qualité particulière (voir Pierre-Marie Terral, Larzac, de la lutte paysanne à l’altermondialisme chez Privat).

Quant à la lutte des objecteurs insoumis et des objecteurs totaux, c’est une histoire qui reste à écrire. Par la suite, d’autres luttes non-violentes de différents caractères se dérouleront. Depuis, ces formes d’action n’ont pas cessé.

C’est pour cela que nous voyons, sans étonnement et avec intérêt, cette culture de la désobéissance montrer son nez dans une revue syndicaliste comme Les Utopiques. Gandhi avait soutenu les ouvriers de Champaran, César Chavez s’illustra avec le boycott du raisin, Luther King, juste avant d’être assassiné, avait entrepris une action avec les éboueurs, etc. L’action syndicale n’est en rien étrangère à l’activité non-violente ; la lutte des classes n’est pas incompatible avec l’action de désobéissance non-violente.

Si le syndicalisme peut intégrer dans sa boîte à outils la désobéissance civile, c’est aussi le cas d’Attac, comme le montre l’article de Raphaël Pradeau dans « La désobéissance pour faire avancer les revendications altermondialistes ». Attac, dont le but est de traquer les banques et les multinationales qui ne respectent pas la loi, n’appelait pas, à ses débuts, ses militants à enfreindre la loi, mais a découvert que la désobéissance civile était « un moyen efficace pour interroger l’articulation entre légalité et légitimité », car ce n’est pas parce que la pratique de l’optimisation fiscale des multinationale est légale qu’elle est tolérable. Il est aussi constaté que ces actions non-violentes, à visage découvert, empreintes d’humour, ludiques, joyeuses et créatives bénéficient du large soutien de l’opinion.

« Si la solidarité avec les étrangers est un délit, alors nous sommes tous délinquants », c’est de cela que témoigne Ibtissam Bouchaara dans « Délinquants solidaires ».

Le monde change lentement à notre gré, et des mots nouveaux accompagnent les transformations ; les luttes prennent des formes inédites ; le vocabulaire se précise : nous sommes loin, sur ce point seulement, d’Émile Pouget qui dans Le Sabotage, cité dans cette revue, parlait de « résistance passive ». Mais rien moins que passifs voulons-nous être…

Allez ! Désobéissons ! Et nous serons libres ! D’une liberté toutefois périlleuse, sans aucun doute.

André Bernard

15 décembre 2017

Les Utopiques, cahiers de réflexions publiés par l’Union syndicale Solidaires

nos 5 (juin 2017) et 6 (novembre 2017)

֍

http://www.lesutopiques.org/

SharePARTAGER
Ce contenu a été publié dans Chronique de la désobéissance, Chronique de lectures d'André, Désobéissance civile, Publications, Syndicalisme, Travail, avec comme mot(s)-clé(s) , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

 

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.