Marcela Delpastre, dite la Pastourelle, Achaïra, 16 décembre 2010

« Au festin de la fête éphémère [autrement dit de la vie] où s’attablent les condamnés,

 j’ai ma place au milieu de mes frères parmi la fumée. » C’est un propos de la Pastourelle.

Il y a quelques années, j’étais abonné à une revue : Plein Chant, éditée et imprimée à Bassac, en Charente ; une revue littéraire qui consacrait des numéros entiers à des gens qui m’étaient chers ; et puis, vous savez, les aléas de la vie, la négligence, je n’ai pas renouvelé mon abonnement…

Et puis, il y a quelques jours, un ami m’a fait envoyer le n° 71-72 consacré à Marcela Delpastre. Bien sûr, vous aussi, comme moi, vous ignoriez ce nom…

Marcela est née en 1925 à Germont, dans le Limousin, et elle est morte dans le lit où elle est née en 1998. C’était une paysanne, une paysanne qui avait quand même été assez longtemps à l’école, mais qui, à 20 ans, choisit de revenir à la ferme de ses parents, et de s’y tenir, et d’y travailler.

Si son père parlait le français, sa mère parlait l’occitan limousin. Sa mère, mais aussi les autres parents et les voisins. Oui, il fut un temps où on parlait encore le patois dans les campagnes.

De mon côté, je me souviens que − je ne sais plus pour quelle raison − mon grand-père savoyard rendit visite à mon grand-père charentais. Tous les deux étaient paysans. Ils parlèrent donc de leurs travaux respectifs, chacun dans son patois. Et, quel ne fut pas leur étonnement quand, pour dire les choses de la ferme, ils employèrent quasiment les mêmes mots ; mots qu’ils trouvèrent spontanément sous leur langue : l’occitan, langue encore vivante à cette époque. Mais l’Occitanie est un pays qui n’existe pas. Cette petite histoire, on me l’a racontée, et elle étonna suffisamment la famille pour qu’on me la rapportât.

Je tenais là, dans ma mémoire, le dernier bout d’une longue histoire occultée.

Marcela Delpastre, elle, fut très consciente d’être à la fin d’une époque, au bout du bout d’un monde paysan qui finissait quand le tracteur remplaça les bœufs.

Entre les deux langues, Marcela n’a pas choisi. Si elle maîtrisait le français autant que le limousin occitan, elle alla quand même étudier la graphie de « la lengua que tant me platz », langue qui ne s’enseignait pas dans les écoles de la République. Très tôt, dès son enfance, elle affirma : « Parlarai patois, coma lo paitau e los petits. »

Mais Marcela n’a pas fait ce que l’on nommait alors un « retour à la terre » ; elle ne l’a jamais quittée sa terre ; elle n’est quasiment plus sortie de son village, immobile au milieu du monde et le contemplant. Car, paysanne elle fut, mais surtout poète, au sens le plus élevé du terme. La poésie, personne ne sait ce que c’est ; son professeur non plus ne savait pas qui demandait toujours : « Mais où est la poésie ? »

« Où est-elle cette garce ? » se demandait Marcela. Et c’est quand elle a envoyé la poésie au Diable et fait un feu de joie de toutes les petites barrières imposées, c’est à ce moment qu’on lui a dit : « Ça c’est de la poésie ! » Marcela fut une créatrice. Elle dessinait, peignait, sculptait mais, surtout, elle écrivit.

Elle écrivit pour « dire » son monde : Avec un seul lecteur, dit-elle, « sans contrainte […], je vais pouvoir dire […] ce qui voudra se dire au moyen de moi ».

Elle affirme que, pour elle, « créer d’abord c’est se mettre à nu, nu plus que nu, au plus secret, au plus intime de soi-même, et d’une nudité auprès de quoi celle du corps est une foutaise… »

Des esprits un peu étroits − il s’en trouve dans tous les milieux, chez les libertaires comme ailleurs − s’offusqueront de notre intérêt pour cette vieille fille qui se qualifiait elle-même de bigote. Qu’ils s’étouffent donc dans leur rejet et leur mépris ces étriqués de la cervelle !

Bigote et vieille fille, elle le fut avec pour légataire universel un libertaire : j’ai nommé Jan dau Melhau.

Et c’est ce dernier qui a rassemblé et présenté les textes de Marcela dans la revue Plein Chant. Et c’est encore lui qui  édite ses œuvres complètes.

Tout en élevant ses vaches et labourant sa terre, Marcela a écrit dans une sorte d’obligation intérieure ; elle a écrit avec passion, pour dire le malheur des humains et la beauté du monde. Prose poétique, psaumes, ballades, poèmes dramatiques, elle fut aussi ethnologue de son milieu en clairvoyante et attentive observatrice. Passant d’une langue à l’autre pour dire les travaux et les jeux ; les récits, les chants et les contes ; les coutumes, les croyances et les proverbes.

Pour dire le travail, elle exprime la nécessité pour elle de travailler sans gants, ses mains à nu. Pourquoi n’en dit-on pas plus sur « l’intelligence des mains » ? J’ai retrouvé là une sensibilité qui m’a rappelé le livre de Georges Navel : Travaux.

J’ai retrouvé aussi une exaltation de la vie si bien exprimée par Jean-Marie Guyau quand il écrit « qu’il faut fleurir ». Marcela, elle, exulte, étincelle, ris, rayonne ; elle vit, elle chante car « qui chante trompe son malheur ».

Fine mouche, elle conte aussi, avec quelquefois un détachement amusé, ses déboires et ses démêlés avec les éditeurs de la ville.

Consciente de sa valeur, son labour quotidien d’écriture n’a de cesse… Je ne vous lirai pas ses Chansons à décharger le fumier, juste quelques vers, au hasard :

Trois mois de mars

ça fait du lard.

Trois mois d’avril

ça fait du fil.

Trois mois d’amour

ça fait le tour

− le tour d’un homme.

 « Sagesse et folie se ressemblent − écrit Marcela − car l’une autorise et, peut-être, engendre l’autre. Il ne s’agit pas de se laisser mener ni de faire n’importe quoi pour être libre ».

Un jour qu’elle allait envoyer un texte à un journal, un ami lui reprocha d’employer le mot « cul ». Elle écrit :

« Je revins à mon tas de paille. Je n’arrivais pas à ressentir le plus petit remords, pas la moindre honte d’avoir appelé par son nom un organe si nécessaire que non seulement le Créateur le modela lui-même par le dehors et par le dedans, jusqu’aux plus petits détails et si soigneusement que pas une fleur n’approche de sa perfection, mais encore c’est ici qu’il mit la joie de l’espèce et l’espoir de l’individu. Le froid d’un grand cyprès tombait sur moi ; pourtant je ne bougeai pas, je restai là longtemps, méditant avec tristesse sur la liberté. »

Qui voudrait en savoir plus s’adressera à Plein Chant,  à Bassac, 16120 Châteauneuf-sur-Charente. Mais qui voudra lire l’œuvre de Marcela Delpastre s’adressera aux éditions Chemin de sent James, à Royer, 87380 Meusac.

Allez ! Bonne nuit à toutes et à tous…

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