Le boycott est-il illégal en France ?
Vous avez sans doute été nombreuses et nombreux à entendre que le boycott était interdit en France et que c’était le seul pays au monde à le criminaliser.
Qu’en est-il ?
Une décision de la cour de cassation du 20 octobre 2015 est à l’origine de l’affirmation.
Cette décision fait suite à un appel concernant des militants de Mulhouse qui ont mené une action dans le cadre de la campagne internationale BDS, Boycott Désinvestissement Sanction. Cette campagne, rappelons-le, a été lancée internationalement par des associations palestiniennes face à l’impunité israélienne et à la poursuite incessante de la colonisation des terres palestiniennes par les gouvernements successifs israéliens. C’est donc une campagne non-violente qui s’inspire des campagnes de boycott menées contre la colonisation de l’Inde, l’apartheid en Afrique du sud ou aux Etats-Unis (Rosa Parks et le boycott des bus en Alabama).
Depuis le 12 février 2010, date de la promulgation d’une circulaire de la Garde des sceaux, Michèle Alliot-Marie, les appels au boycott des produits israéliens sont poursuivis et parfois condamnés suivant l’appréciation des juges.
Mais, depuis le 20 octobre 2015, jour du rendu de la cour de cassation, une jurisprudence a été créée qui indique que « la provocation à la discrimination ne saurait entrer dans le droit à la liberté d’opinion et d’expression dès lors qu’elle constitue un acte positif de rejet, se manifestant par l’incitation à opérer une différence de traitement à l’égard d’une catégorie de personnes, en l’espèce les producteurs de biens installés en Israël. »
On le voit cette décision de la cour de cassation a été rendu sur le fond et non sur le cas d’espèce, et indirectement vise bien à criminaliser le boycott de tous produits car il introduirait une différence de traitement à l’égard d’une catégorie de personnes, en l’occurrence les producteurs du produit boycotté.
Peu importe si l’amalgame entre le produit et ses producteurs n’est vu que par les juges. C’est toute l’histoire du boycott que cette décision remet en cause. Elle néglige le fait que la relation économique ne se résume pas à des produits, des producteurs et des consommateurs, qu’il y a aussi des économies nationales, en l’occurrence ici une nation qui ne respecte pas les lois internationales, Israël qui intensifie sa colonisation de la Palestine, jusqu’à en faire une peau de chagrin.
Mais, bien sûr, la circulaire Alliot-Marie a été produite sous Sarkozy et a été maintenue par Christiane Taubira sous Hollande, belle continuité des services de l’Etat français !
Dans tous les cas, vous avez vu intervenir la Garde des sceaux, des tribunaux dont la plus haute juridiction française, la cour de cassation, mais pas le Parlement. Or jusqu’à présent, c’est encore le Parlement qui établit la loi et c’est la loi qui dit ce qui est légal et ce qui ne l’est pas. Pour moi, et surtout pour d’autres juristes [1], il n’y a pas de loi qui interdit l’appel au boycott.
A ce jour donc le boycott est condamnable tant qu’une juridiction supérieure n’aura pas cassé cet avis. Cette cour supérieure existe mais elle n’est pas nationale, c’est la cour européenne des droits de l’homme. Espérons qu’elle donnera un avis contredisant cette tendance qui fait de la France, un des seuls pays où cette liberté d’expression est condamnée. Israël vient juste de copier la législation française pour interdire l’appel au boycott en Israël même, cela n’existait pas avant.
Mais surtout, n’oubliez pas d’exercer votre conscience si ce n’est vos droits en choisissant les produits que vous consommez en conscience et les critères de choix peuvent être nombreux. Regardez si vous avez réellement les moyens de ne pas pénaliser les producteurs palestiniens en cherchant dans les rayons des produits vraiment confectionnés par des palestiniens. Quant aux produits venant des colonies israéliennes, ils sont illégaux d’après le droit international et ne devraient donc pas être commercialisés, alors ne pas les acheter, ce n’est pas vraiment un boycott, ce n’est que respecter le droit international, ne pas acheter les autres produits israéliens c’est un moyen d’exprimer une désapprobation vis-à-vis d’une politique coloniale en ne la soutenant pas économiquement. Peut-être qu’un jour, on pourra dire lesquels ne devront pas être achetés car illégaux et lesquels on choisira ne pas acheter par refus d’un soutien économique. En effet, la commission européenne vient de demander un étiquetage différent pour les produits des colonies et pour ceux des territoires israéliens reconnus.
On ne le répétera jamais assez, la loi ce n’est pas la justice ! La jurisprudence encore moins !
*****
[1] La tentative de pénalisation des appels au boycott des produits israéliens par les circulaires Alliot-Marie et Mercier – Article par Ghislain Poissonnier et Jean-Christophe Duhamel – RDLF 2015, chron. n°05
Le boycott ou l’entrave à l’exercice normal d’une activité économique est-il légal ?