Chronique raisonnable n° 8 ou leçon d’autodéfense intellectuelle du jeudi 17 novembre 2011

Pour cette 8ème chronique raisonnable, toujours un même objectif :

  • apprendre à soumettre à la critique les informations reçues,
  • les soumettre à notre raisonnement afin
    • de prévenir les manipulations et
    • de démonter les croyances,
    • que chacun puisse faire sienne la pensée critique et
    • contrôler les peurs avec lesquelles les pouvoirs veulent nous manipuler.

Car « être libre, c’est ne plus avoir peur et être responsable de sa vie ».

Aujourd’hui, nous allons approfondir ensemble les pièges d’un usage malicieux des Mathématiques : avec un objectif compter pour ne pas s’en laisser conter.

Lors de l’émission précédente nous avons introduis le Chapitre sur les Mathématiques, rappelez-vous !

 

Comment le jeune Gauss a déjoué le piège de son instituteur qui voulait l’assommer avec une longue et fastidieuse suite de prés d’une centaine d’additions et comment avec élégance et raisonnement il résolu le problème donné par son instituteur avec une simple multiplication exécutée en quelques secondes.

Nous nous sommes engagés à lutter contre la mathophobie, la peur des mathématiques, et l’innumérisme, le pendant de l’illettrisme pour les nombres, à l’aide de réflexions simples et de quelques exemples.

Nous avons observée une des manifestations courantes de l’innumérisme et son traitement. Il s’agissait de ne pas se laisser submerger par une avalanche de nombres qui n’ont aucun sens et nous vous avons proposé de toujours prendre le temps de recompter avec soin les nombres annoncés.

C’est ce qu’a fait le journaliste du Point, Jean Guisnel, lorsqu’il a entendu le président de la République dire s’agissant des forces de sécurité dépendant du ministère de l’Intérieur : « Il y a 150 000 policiers et 120 000 gendarmes. Ce sont des gens que j’ai beaucoup aimé diriger. Pour qui j’ai beaucoup d’admiration, et je me sens très proche d’eux. Ce sont des corps admirables. Il y a quelque chose que l’on ne sait pas, c’est qu’au début de l’année ils savent que 5 % d’entre eux termineront l’année soit morts soit blessés grièvement. C’est ça le métier de policier et c’est ça le métier de gendarme. » Le journaliste examine, dans son article du 28 octobre 2011, simplement le pourcentage. 5 % de 270 000, c’est 13 500. Ce qui fait que la police et la gendarmerie auraient à subir quotidiennement la mort ou les blessures graves de 36 fonctionnaires ! Le chiffre du président est heureusement erroné, donne-t-il en première conclusion…  Les auditeurs pourront comparer ce chiffre à ceux que nous donnions lors de notre précédente émission, ou simplement remarquer que 5% chaque année, cela revient à 100% en 20 ans, ce qui revient à dire qu’en 20 ans ces 270 000 policiers et gendarmes auront été tués ou grièvement blessés !

Et il poursuit pour savoir vraiment ce qu’il en est, en recherchant des éléments partiels de réponse qui se trouvent dans certains documents officiels, comme par exemple la Revue annuelle de la condition militaire. Il y trouve en particulier que les professions les plus touchées par des « décès imputables au service » sont celles du bâtiment et des travaux publics (supérieur à 11 pour 100 000). Viennent ensuite les pompiers professionnels civils (supérieur à 10 pour 100 000), puis les militaires hors gendarmerie (environ 10 pour 100 000). Arrivent après les gendarmes (environ 6 pour 100 000) et les policiers (plus de 3 pour 100 000). Il a demandé les chiffres officiels de la police au service compétent, et étudié ceux de la gendarmerie qui sont disponibles. Il constate qu’en 2010, 13 gendarmes  sont morts en service et 2 292 ont été blessés. Mais ce dernier chiffre est difficile à apprécier, car pour les blessures inventoriées comptent aussi bien les lumbagos ou les entorses accidentelles que des événements plus graves. Il est, par exemple, impossible de différencier une fracture survenue lors d’un contrôle qui tourne mal de celle produite par une chute banale dans la cour de la brigade.

Une chose est sûre : les chiffres donnés par le président de la République sont faux. Les gendarmes et les policiers ne savent pas que « 5 % d’entre eux termineront l’année soit morts soit blessés grièvement », car ce n’est pas vrai… Nicolas Sarkozy a appliqué le coefficient multiplicateur fantaisiste qui lui convient, mais ces chiffres sont à oublier très vite : ce ne sont que des propos de tribune…

Cet article montre à la fois l’usage que les personnes mal intentionnées peuvent faire des nombres pour impressionner et comment un peu de raisonnement puis d’enquête, de recherche, peut démonter cet effet de tribune afin de ne pas s’en laisser conter !

Nous allons donc continuer à observer d’autres manifestations courantes de l’innumérisme et leur traitement.

Le problème étudié : « être victime de « terrorisme » mathématiques ». Et la solution : « apprendre des mathématiques ; compter ; rester critique ; ne pas craindre de demander des explications ».

Pour illustrer ce problème, Normand Baillargeon choisit de nous présenter une rencontre organisée au XVIIIe siècle entre Léonard Euler, un des plus grands mathématiciens, et Denis Diderot, chef de file des Encyclopédistes. Alors qu’Euler est profondément chrétien, Diderot est connu pour ses positions matérialistes et réputé athée. Euler consentit à la rencontre à la cour du tsar de Russie. La rencontre était très attendue, car Diderot avait déjà attaqué et démonté de nombreux arguments philosophiques et théologiques avancés en faveur de l’existence de Dieu. Cette fois-ci, c’est Euler qui attaqua en déclarant à Diderot :

–         Monsieur, (a +bn) / n= x, donc Dieu existe. Répondez !

Diderot est incapable de répondre, parce qu’il ne comprend pas ce que vient d’affirmer Euler et se sent humilier d’avoir à le reconnaître.

Cette situation, peut-être apocryphe, est un bel exemple de terrorisme mathématique, il s’agit d’utiliser le prestige des mathématiques, pour confondre, troubler, embrouiller l’auditoire.

On peut soupçonner ce terrorisme mathématique quand ceux qui en usent ne semble pas bien maîtriser les mathématiques qu’il utilise ou si l’usage de la référence mathématiques n’apporte rien de plus que ce que le langage courant aurait pu dire.

Les adeptes des sciences sociales, trouveront de nombreux exemples de cet usage abusif des mathématiques dans les publications savantes et universitaires.

Le problème étudié : « ne pas savoir traiter les grands nombres ». Et la solution : « utiliser la notation scientifique et faire de l’exercice ».

Nous rencontrons fréquemment des nombres gigantesques en astronomie, en économie, ou d’autres domaines. Le budget américain en 2004 était à 402 milliards de dollars, le coût de la guerre en Irak en avril 2005 était de 160 milliards. Bien sûr ces nombres ont des interprétations politiques, mais on peut se poser la question de la capacité à se représenter ces valeurs. Et si cette représentation est difficile, on est apte à se faire manipuler  par n’importe quoi. Il est donc crucial d’y voir clair.

Pour cela, il faut éviter les confusions linguistiques. Un million, c’est mille fois mille, tandis qu’un milliard c’est mille millions. Quand nous les francophones disons un milliard pour mille millions, les Américains disent un billion, alors que – faisons bien attention – pour nous francophone, un billion, c’est mille milliards. Mille milliards de mille sabords ! c’est du fait exprès !  Comment doit-on dire ? Pour les américains, les multiples de mille sont signalés par des terminaisons en « lion » : million, billion, trillion, quatrillion, etc. alors que nous, francophones, alternons les terminaisons en « lions » et en « liards » : million, milliard, billion, billiard, trillion, trilliard, quatrillion, quatrilliard, et ainsi de suite.

Mais ce sont surtout des confusions conceptuelles dont il faut se méfier. Passé quelques milliers, il est nécessaire de recourir à quelques trucs pour se représenter les grands nombres.

Le premier truc consiste à ramener à des ensembles que l’on comprend bien.  Par exemple, mille représente un nombre de sièges d’une salle de spectacle que vous connaissez bien. Dix mille, le nombre de briques d’une façade d’un immeuble que vous voyez souvent. Un million, un milliard ? Essayez d’imaginer que vous gagnez un voyage de luxe avec l’obligation de dépenser 1000 € par jour. Hôtel, restaurant, etc., vous arrivez à imaginer pour chaque journée. Au bout de 3 ans, 2 ans et neuf mois exactement, vous aurez dépensé un million. Mais pour dépenser un milliard, il faudrait que votre voyage dure 2 700 ans !

A vous de vous représenter les grands nombres avec vos repères.

Le deuxième truc, consiste à s’habituer à utiliser la notation scientifique, car c’est plus simple à écrire et à lire et plus clair d »s qu’on en a pris l’habitude. C’est assez simple : 10n, 10 puissance n ou 10 exposant n, noté 10 avec petit n en exposant, c’est 10 avec n zéros. 10 puissance 4 c’est donc 10 000.

Le troisième truc consiste à s’amuser à compter des choses qui demandent la manipulation de ces grands nombres. Vous verrez que notre intuition est peu fiable. Quelques exemples de ces calculs. Combien de cigarettes sont fumées aux États-Unis en un an ? La réponse est 5 x 1011. Combien de gens meurent chaque jour sur terre ?  La réponse est 2,5 x 105.. et pour les nombres immensément petits : à quelle vitesse les cheveux poussent-ils en kilomètre à l’heure ? Réponse : 1,6 x 10-8. Supposons qu’il y a 15 x 103 grains de sable par centimètre cube, combien faudrait-il de grain pour remplir entièrement votre chambre à coucher ?

S’habituer à ce genre d’exercice permet de s’habituer à manipuler ces grands nombres et donne une grande assurance quand ces nombres vous sont envoyés au visage et permet de savoir si ce qu’on nous dit est plausible.

Pour revenir à la guerre d’Irak, ceux qui ont calculé son coût ont proposé de l’exprimer de manières plus compréhensibles. Ainsi un équivalent des 113 milliards estimés en octobre 2004, c’est ce que coûterait l’inscription de 16 099 088 enfants au programme Head Start, programme d’éducation destiné aux enfants pauvres. C’est aussi le coût de l’embauche de 2 168 932 enseignants pendant un an dans les écoles publiques, le coût de l’assurance-maladie pendant un an pour 48 807 993 enfants, le coût de 2 888 245 bourses universitaires de quatre années, le coût de 1 626 701 logements. On peut aussi dire que chaque foyer américain a donné à ce jour plus de 1 600 $ pour cette guerre et chaque américain 404 $.

Nous terminons ainsi cette nouvelle étude du Chapitre des Mathématiques, dont l’objet est de déjouer les pièges d’un usage abusifs avec l’étude d’une première manifestation de l’innumérisme. Nous continuerons l’étude de ces manifestations de lors de notre prochaine émission.

Et bien sûr, n’oubliez pas notre ouvrage de référence : le « Petit cours d’autodéfense intellectuelle » de Normand Baillargeon, et retrouvez toutes ces chroniques sur le site du cercle libertaire Jean-Barrué (http://cerclelibertairejb33.free.fr )

Lorsque vous entendez évoquer des données chiffrées, pensez à voir si vous avez les connaissances pour évaluer, comparer et à ne pas vous laisser impressionner. Déjà, cette analyse laissera moins de place à l’émotion manipulatrice voulue.

A dans quinze jours.

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