Changer le monde sans prendre le pouvoir,
le sens de la révolution aujourd’hui,
Achaïra, 24 septembre 2009
Je vais vous parler ce soir d’un livre que je n’ai pas lu. Non… J’exagère un peu… Mais il faut dire que c’était sans doute un trop gros morceau pour moi, et que j’ai manqué de temps pour le relire. Mais, vous savez, il y a des gens qui se contentent de la quatrième de couverture pour faire un compte rendu.
Donc, il s’agit de : John Holloway, Changer le monde sans prendre le pouvoir, le sens de la révolution aujourd’hui, Syllepse et Lux éditeurs, 318 p., 20 euros.
Il y a des titres qui font le gros succès d’un livre. C’est sûrement le cas de celui-ci. Le titre est provocateur, et il nous plaît.
L’auteur est marxiste, pas un marxiste orthodoxe, mais c’est un marxiste ; et aussi un philosophe !
C’est donc quelqu’un qui avec son bagage intellectuel − qui est ce qu’il est, et il n’est pas mince − développe une réflexion pour changer le monde sans prendre le pouvoir ; ni par la violence ni par les élections. Comment un marxiste peut-il en arriver à proposer une idée aussi saugrenue ?
Eh bien, rappelons que l’auteur enseigne à l’université autonome de Puebla au Mexique − Il a également enseigné en Irlande. La proximité, la fréquentation des zapatistes du Chiapas, entre autres luttes − en passant par les piqueteros argentins − y est peut-être pour quelque chose…
Dirai-je mon étonnement qu’avec un thématique pareille, Holloway ne cite à aucun moment le moindre auteur anarchiste. Aucun ! Mépris ou ignorance ?
Même Camus n’est pas cité, dont Holloway reprend le thème du « cri » et de la négation.
Quant à nous, nous ne serons pas méprisant et tenterons de prendre connaissance au mieux de ce travail. Au besoin, nous y reviendrons.
Bakounine, qui critiquait le comportement personnel de Marx, avait pour autant reconnu la valeur de son analyse de la société capitaliste. On peut en discuter. Aussi on ne peut que s’intéresser à la recherche d’un marxiste qui débouche sur une telle réflexion. Oui, nous pourrons y revenir.
Ainsi l’auteur s’intéresse à tous les mouvements sociaux de ces vingt dernières années, mouvements radicaux qui ne cherchent pas pour autant le pouvoir de l’État. En ce qui nous concerne, dans le pays que nous habitons, nous rappellerons certaines grèves et aussi ces désobéissants, qui développent de nouvelles formes d’autodétermination exprimant une autre idée, comme en creux, de ce que devrait être le monde…
Ainsi des grèves, Holloway écrit :
« Il est évident que pour ceux qui sont impliqués dans les grèves, le résultat le plus important n’est pas, le plus souvent, la satisfaction des revendications immédiates, mais le développement d’une communauté de lutte, d’un faire collectif caractérisé par son opposition aux formes capitalistes de relations sociales. »
D’ailleurs, cette notion du faire revient systématiquement au cours de l’ouvrage. En jargonnant quelquefois…
Ainsi, il écrit :
« Dans toute société de classe existe une instabilité provenant du rapport de dépendance des dominateurs envers les dominés. […] Ce rapport, dans lequel le dominé dépend du dominateur, semble unilatéral mais, de fait, c’est l’existence même du dominateur qui dépend des dominés. »
Dîtes-moi si je me trompe, mais La Boétiene disait rien d’autre ?
Mais Holloway ajoute :
« Un anti-pouvoir indéfini s’est substitué au pouvoir prolétarien […] souvent associé à la désillusion, à l’abandon de l’idée de révolution au profit de la sophistication théorique. »
Ainsi il développe un magnifique passage sur la réalité matérielle de l’anti-pouvoir :
« L’anti-pouvoir est dans la dignité de l’existence quotidienne. L’anti-pouvoir est dans les relations que nous tissons en permanence : amour, amitié, camaraderie, communauté, coopération, etc. »
De même, il écrit : un autre « élément permettant de comprendre la réalité de l’anti-pouvoir, c’est que le capital et son existence dépendent de manière absolue du travail, c’est-à-dire de la transformation du faire humain en travail producteur de valeur » (p. 247).
Ainsi j’ai relevé quelques citations qui me touchent d’un peu plus près pour éclairer des convictions plus personnelles :
« L’action purement négative se heurte inévitablement au capital sur son propre terrain et, si nous y restons, nous serons toujours défaits, même si nous remportons la victoire. C’est, par exemple, le problème de la lutte armée qui adopte d’une manière nécessaire les méthodes de l’ennemi pour le vaincre ; dans ce cas, même lors d’une victoire militaire improbable, ce sont les relations sociales capitalistes qui triomphent. » (pp. 297-298.)
Dans les dernières pages, Holloway écrit : « Alors, comment changer le monde sans prendre le pouvoir ? À l’issue de ce livre, tout comme au commencement, nous ne le savons pas. […] … nous ne savons plus ce que veut dire “révolution”. […] … le savoir des révolutionnaires du siècle passé a été vaincu. Mais c’est plus que cela : notre non-savoir est aussi le non-savoir de ceux qui comprennent que le non-savoir fait partie du processus révolutionnaire. Nous avons perdu toutes nos certitudes, mais l’émergence de l’incertitude est essentielle pour la révolution. »
Comme vous l’entendez, ça jargonne un peu mais, par ailleurs, il fait mieux encore !
Et, après ce que je viens de dire, je vous engage à aller vraiment lire ce livre que j’ai traité avec trop de rapidité.
Article dans le Monde libertaire, n° 1567, 8-14 octobre 2009.
PARTAGER