Paroisse intégriste et groupuscule nazi à Bordeaux

« Les Infiltrés
ou quand la télévision publique mime le journalisme d’investigation

Dans le cadre de son émission « Les Infiltrés » présentée par David Pujadas, France 2 a diffusé un reportage intitulé « À l’extrême droite du père » le 27 avril 2010. La promotion de l’émission fait état de « cinq mois d’enquête au sein d’un groupe nationaliste en pleine formation ». Grâce à cette enquête, les journalistes ont mis au jour des liens entre une paroisse intégriste et ce groupuscule nazi. « Plus surprenant encore », l’enquête a permis de découvrir une école catholique où l’enseignement se confond avec un endoctrinement fasciste. Comme les faits se déroulent dans Bordeaux, cette bonne ville bien convenable, l’affaire a fait grand bruit et a même occupé un bref instant le temps des média puis a été recouverte par d’autres « news » dans le flux inextinguible des informations. Aujourd’hui, après que le vacarme médiatique se soit tu, quelles leçons pouvons-nous tirer ?

Même si les propos tenus peuvent légitimement choquer, le fait qu’il existe à Bordeaux comme ailleurs des nostalgiques du nazisme qui n’auraient pas, par miracle, disparu le 8 mai 1945, cela ne peut en aucun cas constituer un « scoop » dont les auteurs du reportage pourraient se prévaloir, et ce n’est pas une référence à Albert Londres qui fera illusion : ces « cinq mois d’enquête » n’ont guère été fructueux. Pire, ces courageux journalistes d’investigation s’arrêtent dès lors que le sujet pourrait devenir sensible et aurait requis un peu d’audace politique. Il en va ainsi avec l’information sur les chaînes (généralistes fussent-elles publiques) de télévision.

Plusieurs questions ont été ainsi éludées. La plus importante porte sur les liens qu’entretient la mairie de Bordeaux et son maire « droit dans ses bottes et qui prétend à un destin national » avec cette frange de l’extrême droite. Certes, il s’agit d’une constante dans les pratiques au quotidien de la droite : d’une part, ouvrir le spectre pour draguer les voix le plus largement possible et, d’autre part, plus conjoncturellement, avoir recours à la force de frappe (au sens premier du terme) des apprentis SA(C) en cas de besoin ; ainsi, à Bordeaux, ancien résistant et fondamentalement rad-soc, Jacques Chaban-Delmas ne répugnait pas à faire appel à des gros bras fascistes pour maintenir un ordre musclé dans ses réunions publiques… Enfin, les rejetons des beaux quartiers, après avoir jeté leur gourme dans des groupuscules fascistes, se retrouvent tout naturellement dans les bonnes formations de la droite convenable : on ne compte plus aujourd’hui les militants d’Occident reconvertis en notables de l’UMP, en ministre de la République, cette gueuse qu’ils conspuaient hier ou, encore, en proches du président de la République comme Patrick Buisson, cet ancien plumitif de Minute, devenu un conseiller très écouté. Pour autant, quelles relations spécifiques Alain Juppé qui travaille son image de présidentiable peut bien entretenir avec ces militants normalement peu fréquentables ? Même pas évoquée, la question restera évidemment sans réponse.

Le reportage se focalise principalement sur deux lieux : l’école hors contrat Saint-Projet et l’église Saint-Éloi qui abrite un groupuscule fasciste. C’est contre l’avis de l’évêque de Bordeaux que la mairie a mis l’église à la disposition de catholiques traditionalistes relevant clairement de l’extrême droite car conduits par l’abbé Laguérie. Le brave abbé, qui se présentait, entre autres, comme « l’avocat de Paul Touvier auprès de Dieu » a donc en toute logique présidé aux funérailles de l’ancien milicien, criminel de guerre, et l’a qualifié, lors de son homélie, d’« âme délicate, sensible et nuancée »… Sans évoquer ses soutiens au Front national et aux thèses négationnistes :

« Tout le flot de haine qui est dirigé contre Jean-Marie Le Pen, affirme-t-il, est suscité, organisé, par la grande banque juive qui tient la France en dictature depuis quarante-cinq ans […] D’ailleurs, les thèses des professeurs Roques et Faurisson sont parfaitement scientifiques. » (mardi 5 septembre 1987). Bref, c’est à un bon chrétien que le maire de Bordeaux a confié l’église Saint-Éloi.

Or la délibération du conseil municipal du 28 janvier 2002 a été attaquée en justice par l’opposition socialiste et par l’évêque de Bordeaux qui ont obtenu gain de cause de la part du tribunal administratif, puis après appel de la mairie, du TA d’appel en 2004 et enfin du Conseil d’État en 2005. Depuis, bien que l’occupation de l’église soit donc illégale puisque reposant sur une délibération annulée par la plus haute instance juridique, les pouvoirs publics se sont bien gardés d’intervenir pour chasser ces squatteurs bien propres sur eux, ni le maire « droit dans ses bottes et qui prétend à un destin national », ni le préfet de la Gironde de l’époque, aujourd’hui familier du cabinet du président de la République, ni le ministre de l’Intérieur et ministre des Cultes d’alors, un certain Nicolas Sarkozy. 

 Tous ces responsables ont pourtant été saisis par l’opposition socialiste ayant obtenu gain de cause devant les juridictions compétentes et qui attendait benoîtement que les différents représentants de l’exécutif fassent appliquer la loi. Elle attend toujours. Première constatation : toujours prompte à évoquer le respect de la loi pour stigmatiser la racaille et autres sauvageons, le pouvoir s’en affranchit dès lors que les décisions de justice lui sont contraires. Cette constatation n’aurait sûrement pas en soi constitué un « scoop » mais aurait mérité d’être évoquée, a minima, dans le reportage. Or l’interview de Gilles Savary, l’élu socialiste à l’origine de la fronde et qui revenait sur ce point de (non)-droit, a été coupée dans le montage final.

Autre lieu donc, l’école Saint-Projet catholique mais hors contrat dans laquelle le téléspectateur entend des jeunes élèves bien élevés entonner en chœur une ritournelle sur Auschwitz et ses « douches gratuites », un prof d’histoire qui considère les SS comme une « troupe d’élite » et le général de Gaulle comme « un déserteur ». Là aussi rien de bien neuf si ce n’est l’horreur d’être confronté à la bête immonde et concrètement à sa reproduction : oui, son ventre est encore fécond. Mais si les journalistes avaient poussé un peu plus loin leur travail, ils auraient pu poser quelques questions vraiment embarrassantes. Quels liens, à nouveau, entre l’avocat qui dirige l’école et la mairie de Bordeaux ? D’où sort ce prof d’histoire émérite qui s’est bien gardé de renvoyer ses palmes académiques et surtout qui les lui a obtenues ?

Ces émissions servent à amuser (au sens propre) les téléspectateurs, à les distraire tout en leur faisant accroire que les « journalistes » de télévision font leur métier : nous sommes bien dans l’infotainment, cette confusion funeste entre l’information et l’untertainment qui nous vient directement des États-Unis, cette grande démocratie qui sert de modèle au monde entier… Que cette émission où les journalistes miment leur métier soit produite par le « service public » constitue un fait aggravant mais cela ne devrait surprendre que les naïfs…

Mato-Topé

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