Achaïra n° 197 : Chronique de la désobéissance : Espérer en quelque endroit…

Espérer en quelque endroit…

Chronique inspirée par le livre de

Pierre Bance, Un autre futur pour le Kurdistan,

municipalisme et confédéralisme démocratique,

Noir & Rouge éd., 2017, 400 p.

Après la destruction des collectivités libertaires de l’Espagne de 1936, les anarchistes n’ont cessé de guetter de par le monde la moindre renaissance de leurs espoirs. Ce furent les velléités d’autogestion dans la Yougoslavie de Tito, ce fut l’euphorie romantique du tout début de la révolution cubaine, ce fut et c’est la rébellion sociale du Chiapas, et quelques autres.

Depuis quelque temps, les regards sont braqués sur le Rojava.

Pierre Bance, dans Un autre futur pour le Kurdistan, nous expose l’origine de cette nouvelle espérance :

En 2000, Abdullah Öcalan, le « chef suprême » du Parti des travailleurs du Kurdistan constate que la guerre d’indépendance est aussi meurtrière que vaine, qu’elle n’aboutira pas, qu’il faut arrêter de répandre le malheur tant chez les Kurdes que chez les Turcs. Il engage alors son parti à abandonner l’idéologie marxiste-léniniste, la lutte armée et l’ambition d’un État-nation kurde.

Ce changement de pied considérable se fondait sur les écrits de l’Américain Murray Bookchin exposant le municipalisme libertaire associé à l’écologie sociale. Toutefois, Öcalan s’est bien gardé de faire référence à un vocabulaire trop marqué par l’anarchisme.

L’idée de base est que « l’émancipation ne peut venir du pouvoir », mais que, ici et maintenant, il faut « être encore plus réalistes et mieux organisés ».

De fait, en devenant « confédéralisme démocratique », le municipalisme libertaire allait acquérir une nouvelle actualité. Mais, parce que ces territoires sont ravagés par la guerre, il est difficile de se faire une juste appréciation des événements.

Qu’en est-il vraiment ?

Le Kurdistan − c’est-à-dire : Bakûr en Turquie, Rojava en Syrie, Rojhila en Iran et Başûr en Irak − aurait pu être un État comme un autre si, après la Première Guerre mondiale, à la suite du démembrement de l’Empire ottoman, ce territoire, n’avait pas été attribué aux différents États précédemment cités.

Ce qui fut vécu par les Kurdes comme une catastrophe se révélera peut-être comme l’opportunité d’inventer une nouvelle entité politique : le « confédéralisme démocratique ».

Soucieux de paix, ne recherchant plus une indépendance nationale ni la création d’un État kurde, et sans vouloir détruire l’État turc, Öcalan est maintenant porteur d’un projet politique original ; il ne s’agirait que de garantir aux Kurdes, dans chacun des pays où ils vivent, des droits culturels, linguistiques et politiques, le droit de s’auto-organiser, de s’autogouverner ; et ce, modalité inattendue, sans remettre en question les frontières existantes.

Cette créativité politique n’a pas encore été appréciée et analysée à sa juste valeur par les commentateurs alors qu’elle pourrait dénouer positivement, par exemple, le problème Israël-Palestine. On ne verrait plus, ainsi, des anarchistes, sans craindre d’être en contradiction avec eux-mêmes, défendre un État palestinien.

Si ce que propose le confédéralisme démocratique demeure pour l’essentiel sur le papier, une ébauche de réalisations s’esquisse entre autres au Rojava ; et, bien que le projet d’Öcalan soit des plus pacifiques, il faudra cependant s’attendre à des réactions violentes tant de la part des États que de l’économie capitaliste.

Jusqu’à maintenant, les propositions de paix n’ont pas reçu la moindre garantie de l’État turc ; c’est pourquoi, du côté kurde, la prudence est de mise. On reste sur la réserve : « La fin de la lutte armée ne signifie pas le désarmement des combattants. »

Qu’en est-il de l’« application du confédéralisme démocratique sur un territoire libéré où la coexistence avec l’État est devenue théorique », car l’État central est devenu impuissant dans une région où sévit la guerre.

Pour Pierre Bance « on est loin de la démocratie directe et de la commune autonome de Bookchin et d’Öcalan ».

Cependant, « le pouvoir vient du bas », et nous aurions tort, nous anarchistes, de faire la fine bouche car la Charte du Rojava − « norme juridique atypique » − présente une avancée incontestable « sur toutes les constitutions et systèmes politiques du Proche-Orient » .

Oui, il est difficile de prévoir si la Charte du Rojava sera un outil de transition pour la construction d’un État comme un autre ou si, au contraire, elle ouvrira la voie vers une société sans État.

Si l’entourage d’Öcalan − son état-major élargi − a une bonne connaissance des idées libertaires et s’ils ont intégré ces valeurs lors d’une évolution plus que rapide, cette marche en avant n’a pas été accomplie par l’ensemble de la population, bloquée par le poids du tribalisme et d’un patriarcat oppressant. Aussi, on ne s’étonnera pas que l’accent soit mis sur l’éducation, la justice et la santé.

L’Histoire continuant sa marche, il ne s’agit pas de conclure, mais d’être à l’écoute d’un monde qui se cherche malgré des configurations qui ne sont pas les nôtres.

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