Achaïra n°176 : Solidarité ouvrière

Solidarité ouvrière

Solidaridad obrera était le beau titre d’une publication libertaire espagnole qui relata en son temps une lutte ouvrière exemplaire. L’épisode se situe autour de l’année 1933 en Catalogne. Il s’agit d’une grève qui échoue, suivie d’un boycott qui gagne.

Je tiens l’information d’un gros livre de près de 700 pages. Si je n’en retiens que deux, cela ne veut pas dire que le reste est sans intérêt. Il soulève au contraire des passions : sur des sites divers, les échanges sont vifs, les insultes pleuvent et les menaces abondent.

Restons-en à notre propos et rappelons ce haut fait du mouvement ouvrier que Floréal Cuadrado, l’auteur de Comme un chat, raconte :

« Il s’agissait de la huelga de la Damm. Cette grève eut lieu quelques années après celle de la Canadiense. Pour lui [son grand-père], elle était exemplaire car tous les militants anarchistes et tous ceux de la CNT de Catalogne, depuis la base jusqu’au sommet, s’y impliquèrent.

« La Damm était une des plus importantes brasseries de Catalogne. Les usines se trouvaient dans la proche banlieue de Barcelone. Les ouvriers revendiquaient des augmentations de salaire et de meilleures conditions de travail. Un conflit somme toute on ne peut plus banal. La famille Damm, propriétaire de l’entreprise, avait une réputation de patron de combat. Elle déclarait à qui voulait l’entendre qu’elle ne négocierait jamais avec la CNT. Fidèle à sa réputation, elle répondit à la grève en licenciant les supposés meneurs et en procédant au lock-out pour casser le mouvement. Ensuite, elle embaucha des esquiroles − des jaunes du Sindicato libre.

« Pendant plus d’un mois, les bagarres entre les grévistes et les esquiroles furent quotidiennes. Les camions qui sortaient de l’usine chargés de bière furent régulièrement attaqués. Les forces de l’ordre essayèrent, tant bien que mal, d’assurer leur protection. L’attitude arrogante et provocatrice de la famille Damm, qui refusait de négocier avec le comité de grève composé dans sa totalité de membres de la CNT, donnait au conflit une valeur de symbole. Il en allait de sa crédibilité. Après plus d’un mois de lutte, le comité de grève fut obligé de constater que le mouvement se trouvait dans une impasse. Une réunion fut organisée par les dirigeants de la CNT catalane entre les membres du comité de grève, les dirigeants du Syndicat des garçons de café et les responsables des groupes d’autodéfense, afin de réfléchir à la situation.

« Cette lutte fut longue, et les ouvriers, avec leurs maigres salaires, ne disposaient pas d’économies pour continuer le mouvement. Pour soulager les familles, les enfants des grévistes furent bien souvent envoyés dans des familles de compañeros qui n’étaient pas impliqués directement dans le conflit. Mais les caisses de solidarité ne pouvaient plus répondre aux besoins des ouvriers en lutte. Au cours de cette réunion, deux décisions d’importance furent prises. La première concernait la reprise du travail ; celle-ci se ferait dans les conditions fixées par l’entreprise. Ce repli laisserait croire aux dirigeants de la Damm et au patronat catalan qu’ils avaient vaincu la CNT. La seconde était la continuation de la lutte en déclenchant le boycott généralisé des bière Damm. Tous les militants de la CNT devaient prendre part à cette phase du conflit. En premier lieu, les garçons de café devaient, si le rapport de force le leur permettait, interdire sur leur lieu de travail la vente des bières de cette marque. Dans le cas contraire, il leur fallait le signaler aux groupes d’autodéfense qui, eux, se chargeraient de faire appliquer le boycott. Les militants de la CNT, quant à eux, devaient, lorsqu’ils allaient dans les cafés, refuser les bières produites par la Damm et signaler à l’organisation les bars qui en proposaient. Les membres des groupes d’autodéfense devaient alors entrer en action.

« Dès la reprise du travail, le boycott commença. Si, au début, les dirigeants de l’entreprise crurent à un baroud d’honneur, ils durent rapidement déchanter. Les camions qui sortaient de la brasserie continuaient à être systématiquement attaqués. Lorsque les membres des groupes d’autodéfense réussissaient à coincer un camion, ils faisaient descendre le chauffeur et y mettaient immédiatement le feu avec des bombes incendiaires. Quant aux établissements qui ne pratiquaient pas le boycott sur information des garçons de café ou des militants, ils étaient attaqués par des commandos et totalement détruits. Pendant plusieurs mois, plus une seule goutte de bière de la Damm ne fut consommée à Barcelone et dans toute la Catalogne. La police eut beau prêter son concours à l’entreprise pour casser le mouvement, rien n’y fit. L’agitation prenait de plus en plus d’ampleur. Les patrons de café qui n’avaient pas subi l’action des commandos de la CNT, par crainte de se voir pris pour cible, refusaient de vendre cette bière.

« Dans l’incapacité d’arrêter le boycott, les dirigeants de la Damm furent bien obligés de négocier avec la CNT. C’était une première victoire. Les termes de la négociation, après plusieurs mois de conflit ne furent plus les mêmes. Dépassés, ceux qui avaient été à l’origine de la grève ! La seconde victoire fut plus éclatante encore puisqu’il s’agissait, ni plus ni moins, que de faire payer à l’entreprise les arriérés liés aux conflits antérieurs. Aux augmentations salariales et à l’amélioration des conditions de travail, il fallut ajouter la réintégration de tous les militants licenciés. Pas seulement ceux du conflit qu’elle venait de vivre, mais aussi ceux qui l’avaient été dans les luttes précédentes. Cette victoire montrait clairement, tant au patronat catalan qu’à l’ensemble du patronat espagnol, qu’il faudrait dorénavant compter avec la CNT. »

Je finis ici ma longue citation des pages 575 et 576.

Ce conflit me rappelle un autre combat syndical mené dans la presse parisienne au milieu des années 1970 où nous attaquions nous aussi des camions. Si on n’y mettait pas le feu, on en jetait quelques-uns à l’eau. Violence de basse intensité, remarquait Jacky Toublet qui me disait : « Mais qu’est-ce que tu fous là, toi, le non-violent ? »

Ce texte n’est donc pas la recension de :

Comme un chat, souvenirs turbulents d’un anarchiste −

faussaire à ses heures − vers la fin du vingtième siècle, de Floréal Cuadrado,

éditions du Sandre, 2015, 680 p.

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