Fritz et Thom

Fritz et Thom

Fritz, c’est Fritz Oerter, un ouvrier lithographe allemand né en 1869 et mort en détention en 1935 ; Thom, c’est Thom Holterman, un professeur de droit à la retraite qui vit actuellement en France. En janvier 2015, l’Atelier de création libertaire publie Violence ou non violence de Fritz et L’Anarchisme au pays des provos de Thom.

Le texte de Fritz Oerter, Violence ou non viseko350ledo, est avant tout le témoignage d’une pensée innovante, inattendue de nous qui ne pratiquons pas la langue allemande ; ce document se révèle annonciateur, surtout si on pense à la période historique où il fut écrit. Précisons que nous sommes en 1920, en Allemagne, après la Grande Guerre, après les révolutions ouvrières et après la terrible répression qui a suivi. L’auteur, à notre surprise, développe une réflexion sur la non-violence − Gewaltlosigkeit −, ainsi nommée ; réflexion tant au niveau de l’esprit que de la pratique dont il énumère quelques propositions.

À notre connaissance, en France, à cette époque, aucun militant libertaire n’avait avancé de telles idées. Il faudra même attendre 1924 pour que Romain Rolland utilise le terme de « non-violence » dans un livre consacré à Gandhi.

On avancera que si, en France, les idées pacifistes étaient largement partagées, il ne s’agissait alors, dans ce pays, si on ose dire, « que de pacifisme » − étant entendu que le pacifisme s’inscrit dans un rapport à la guerre entre les États. Or, ici, Fritz Oerter parle de lutte ouvrière, de « grève solidaire », de « grève générale », de « boycottage », de « sabotage » et de « tant d’autres moyens d’action directe ». En toute non-violence !

Son propos est clair. Nous pouvons donc nous étonner de cette émergence car les idées ne naissent pas spontanément à partir de rien. Il aura fallu, nous semble-t-il, que d’autres démarches tant intellectuelles que sensibles soient déjà bien présentes pour en arriver là.

Nous croyons trouver une explication dans l’influence exercée par Gustav Landauer (1870-1919), un homme de la génération (à un an près) d’Oerter. Il s’agit d’un militant dorénavant un peu mieux connu en France grâce, entre autres, au numéro 48 d’À contretemps de mai 2014 qui lui est consacré. Gustav Landauer fut le traducteur de Rabindranah Tagore ; de même il fit connaître le Discours de la servitude volontaire de La Boétie.

Ajoutons que, selon le Dictionnaire des militants anarchistes sur la Toile (animé par Rolf Dupuy), Fritz Oerter était également un abonné régulier de L’En-dehors d’E. Armand qui a pu citer Henry David Thoreau dans ses publications. Cependant, il faudra attendre 1921 pour que le Civil Disobedience de ce dernier paraisse sous le titre de Désobéir, traduit par Léon Bazalgette.

Sans doute, d’autres sources sont à dénicher et à consulter…

Quant à nous, quand bien même, quelquefois, nous discuterions de ce qu’avance Fritz Oerter − car il y a quelques formules qui pour le moins nous embarrassent −, nous le placerons désormais parmi les devanciers d’un anarchisme non-violent en gestation.

Par exemple, nous nous poserons la question de savoir si son Gewaltlosigkeit ne serait pas un concept se rapprochant plutôt d’une action « sans violence » ; ce qui, bien sûr, ne veut pas dire qu’on est inactif. En effet, par la suite, les militants d’après-guerre, voire ceux d’après 1968, utiliseront un terme proche et sans doute plus précis ; il s’agit de Gewaltfreiheit, c’est-à-dire l’action directe non-violente ou la direkte gewaltfreie Aktion qu’ils préférèrent pour son dynamisme.

Il ne nous a pas paru inutile de signaler ces différences de vocabulaire parce que, en Allemagne, le débat est permanent entre les partisans de l’une ou de l’autre dénomination. Pour autant, nous ne sommes en rien qualifié pour trancher cette controverse.

Le texte de Thom Holterman, L’Anarchisme au pays des provos, c’est l’anarchisme hollandais. L’auteur, né en 1942, fut objecteur de conscience et un des fondateurs du groupe Provo de Rotterdam, puis rédacteur, depuis 1971 − date de sa création −, de la revue anarcho-syndicaliste De AS. Il a publié en hollandais un certain nombre de livres et de brochures sur l’anarchisme dont, en français, L’Anarchisme, c’est réglé. Un exposé anarchiste sur le droit (ACL, Lyon, 2013).

Au début du xxe siècle, de jeunes pasteurs prirent au sérieux l’éthique évangélique et s’engagèrent du christianisme vers l’anarchisme bravant ainsi leur entourage. L’un d’eux, Ferdinand Domela Nieuwenhuis, sera la personne la plus marquante de ce mouvement de pensée et, bien que plusieurs anarchistes hollandais aient publié en français, trop peu de leurs ouvrages et surtout de leurs parcours sont connus du public de langue française.

C’est pourquoi l’auteur nous dresse cinq portraits : ceux de Ferdinand Domela Nieuwenhuis, bien sûr, d’Arthur Lehning − le fameux spécialiste de Bakounine − et de Barthélemy de Ligt − l’antimilitariste −, sans oublier Clara Wichmann et Anton Constandse. Ensuite, il décrit cinq courants anarchistes dans lesquels la pratique et l’action priment sur la théorie.

Ces portraits et ces pratiques permettent d’ébaucher un cheminement et d’esquisser la teneur de la pensée libertaire de ce « plat pays tourné vers la mer », itinéraire épaulé par les précurseurs Érasme et Spinoza, puis par l’insoumis Max Havelaar avec, un peu plus tard, le mouvement Provo qui, en quelque sorte, sera le premier mouvement écologique de la planète et qui donnera au monde une turbulente et sympathique impulsion anarchiste bien avant Mai 68. Si la pensée libertaire hollandaise exprime sa force critique, elle le fait associée à un potentiel créatif non négligeable.

Un anarchisme au pays des pasteurs ? Sans doute, mais plus que cela : un anarchisme pragmatique, un anarchisme d’ici et de maintenant − que chacun peut réaliser à sa manière −, et, pour tout dire, l’anarchisme au pays des provos.

Allez ! Bonsoir à toutes et à tous

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André Bernard
Cercle libertaire Jean-Barrué en Gironde

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