Chronique raisonnable – n° 3 – Jeudi 8 septembre 2011 –
Nous continuons notre chronique raisonnable avec cette 3ème intervention et toujours un même objectif :
o apprendre à soumettre à la critique les informations reçues,
o les soumettre à notre raisonnement afin
· de prévenir les manipulations et
· de démonter les croyances,
· que chacun puisse faire sienne la pensée critique et
· contrôler les peurs avec lesquelles les pouvoirs veulent nous manipuler.
Etre libre, c’est ne plus avoir peur et être responsable de sa vie.
Aujourd’hui, nous abordons ensemble L’art de la fourberie mentale et de la manipulation : avec quelques paralogismes courants.
Tous les hommes sont mortels
Socrate est un homme
Donc Socrate est mortel
Ce raisonnement très connu s’appelle un syllogisme.
Aristote a particulièrement étudié ces raisonnements et est considéré comme l’inventeur de la logique dite formelle.
Pour cela, il a codifié les bases de logique et énoncé 3 principes appelés « lois de la pensée » :
– le principe d’identité : ce qui est est, A est A
– le principe de contradiction : rien ne peut à la fois être A et non A
– le principe du tiers exclu : il y a A ou non A sans 3ème possibilité.
Ensuite, il a développé la théorie du syllogisme :
Tous les policiers de Bordeaux ont une matraque
Pierre est un policier de Bordeaux
Donc Pierre a une matraque
Ce raisonnement ou syllogisme dans le vocabulaire d’Aristote a un contenu (les matraques, la police bordelaise) et une affirmation, mais il a aussi une forme, que l’on remarque en faisant abstraction de son contenu. On remarque que c’est la même forme que celle qui parle de la mortalité de Socrate.
Toute une classe possède une caractéristique
Un élément est de cette classe
Donc cet élément possède la caractéristique.
Ceci peut se visualiser dans le plan avec des cercles et des points. Dessinez un premier cercle représentant les policiers bordelais, entourez le d’un cercle représentant la possession d’une matraque puis à l’intérieur du premier cercle dessinez une petite croix représentant Pierre, vous verrez que cette croix se trouve aussi dans le cercle représentant la possession d’une matraque.
Les deux premières propositions du raisonnement sont appelées par Aristote, les prémisses, alors que la troisième et dernière proposition est appelée la conclusion.
Aristote définit jusqu’à quatorze formes de syllogisme.
Il est ici très important de distinguer validité d’un raisonnement et véracité d’une conclusion.
On a vu que la forme du raisonnement précédent garantissait sa validité : une conclusion valide découle nécessairement des prémisses, mais cela ne garantit pas que la conclusion soit vraie.
On peut ainsi distinguer quatre possibilités :
- Le raisonnement est valide et la conclusion est vraie
Tous les hommes sont mortels
Socrate est un homme
Donc Socrate est mortel
- La conclusion est fausse mais le raisonnement est valide
Tous les hommes sont bleus
Socrate est un homme
Donc Socrate est bleu
- La conclusion est fausse et le raisonnement est invalide
Quelques hommes sont bleus
Socrate est un homme
Donc Socrate est bleu
- La conclusion est vraie mais le raisonnement est invalide
Quelques hommes sont mortels
Socrate est un homme
Donc Socrate est mortel
Pour assurer sa défense intellectuelle, on gagnera beaucoup à savoir détecter les argumentations qui ne tiennent pas la route et incitent à tirer de mauvaises conclusions. Ces raisonnements sont appelés des sophismes ou des paralogismes.
Il existe des paralogismes que l’ont dit formels quand le raisonnement est invalide, que la conclusion ne découle pas des prémisses. On va les étudier en premier, mais il existe aussi de très nombreux paralogismes informels. Ils sont très courants et doivent être repérés aisément. Nous y reviendrons dans 15 jours mais vous en entendrez beaucoup entre ces deux émissions.
Examinions les 3 causes qui peuvent rendre un raisonnement invalide. Vous verrez qu’à chaque fois le raisonnement proposé, au regard de sa seule forme, ne garantit pas la préservation de la vérité (éventuelle) des prémisses.
Il y a en premier l’inconsistance. Par exemple, le raisonnement suivant :
Langon est à 79 km de Bordeaux
Libourne est à 44 km de Bordeaux
Donc Bordeaux est plus prés de Langon que de Libourne
La conclusion est invalide mais on ne sait pas si elle est vraie ou fausse. C’est une question pour le géographe pas pour le logicien.
Autres exemples d’inconsistance :
On ne devrait pas offrir l’aide sociale aux gens : une économie de marché demande que chacun se prenne en main.
Et
Il faut donner des subventions à la filière maraîchère, sans quoi ce secteur ne survivrait pas.
La deuxième cause est appelée l’Affirmation du conséquent. Prenons l’illustration suivante :
Si vous êtes un policier, vous possédez une matraque
Vous possédez une matraque
Donc vous êtes un policier
On voit que les prémisses ne garantissent pas la conclusion. On peut posséder une matraque et ne pas être policier. Autre exemple :
Si les structures d’une société sont justes, les citoyens ne se rebellent pas.
Les citoyens de notre société ne se rebellent pas
Donc, les structures de base de notre société sont justes.
Ce paralogisme est pernicieux car difficile à détecter. D’abord, il est présenté en général de façon moins claire et il ressemble à une autre forme tout à fait valide comme :
Si les structures d’une société sont justes, les citoyens ne se rebellent pas.
Les structures de base de notre société sont justes
Donc, les citoyens de notre société ne se rebellent pas.
La troisième et dernière cause est appelée la Négation de l’antécédent. Considérons l’exemple suivant :
Si je suis à Londres, je suis en Angleterre
Je ne suis pas à Londres
Donc, je ne suis pas en Angleterre.
Bien sûr, on peut être en Angleterre et ailleurs qu’à Londres. La difficulté à repérer ce paralogisme vient là aussi de sa ressemblance avec le raisonnement valide appelé la négation de la conséquence, illustrée ici par :
Si je suis à Londres, je suis en Angleterre
Je ne suis pas en Angleterre
Donc, je ne suis pas à Londres.
Nous terminons ici la présentation des paralogismes formels. Nous verrons dans notre prochaine émission des paralogismes informels tels que « le faux dilemme », « la généralisation hâtive », « le hareng fumé » ou « enfumage », « l’argumentation ad hominem », « l’appel à l’autorité », « la pétition de principe », « le précédent est la cause », « l’appel au peuple », pour commencer.
Pour vous détendre, je vous conseille toujours de regarder avec profit : la Conférence gesticulée Franck Lepage ou la langue de bois décryptée avec humour. Vous la trouverez sur Internet via un moteur de recherche (visiter aussi http://www.scoplepave.org/ ou http://tvbruits.org/)
Et bien sûr, n’oubliez pas notre ouvrage de référence : le « Petit cours d’autodéfense intellectuelle » de Normand Baillargeon, publié chez Luz en 2006.
Lorsque vous écoutez pensez à retrouver la construction des raisonnements employés, quelle est leur validité et ensuite quelle est la véracité des prémisses. Déjà, cette analyse laissera moins de place à l’émotion manipulatrice voulue.
A dans quinze jours.
