La Grande Séverine, Achaïra, 5 novembre 2009

 Évelyne Le Garrec, Séverine (1855-1929). Vie et combats d’une frondeuse,
préface d’Isabelle Rome, postface de Bernard Noël, l’Archipel, 2009.

Je veux vous parler ce soir de Séverine, la Grande Séverine, une femme qui ne s’est pourtant jamais affichée comme anarchiste.
Je croyais lire une biographie − ce qu’est aussi ce livre −, mais on y trouve, surtout, quelques articles de Séverine écrits dans différents journaux − et c’est bien ! Si Séverine était journaliste, c’était avant tout un grand écrivain − pardon ! − une écrivaine.
Et la partie « textes de Séverine » est plus importante que la partie biographique, alors, c’est très bien !
Séverine est morte il y a quatre-vingts ans. Séverine, de son vrai nom Caroline Rémy, avait 15 ans du temps de la Commune de Paris, et ses parents étaient du côté versaillais. Très tôt, elle voulut être journaliste ; surtout pas institutrice comme le lui proposait son père.
Pour se libérer de la tutelle paternelle, elle accepta le mariage, et, dès la première nuit, ce fut une catastrophe : le viol légalisé, mais un enfant naît. Après le divorce qui suivit, elle se remarie, refait un enfant et va accoucher à Bruxelles où − la chance de sa vie ? − elle rencontre… Jules Vallès.
N’empêche, Séverine fut une femme blessée !
Pour autant, elle fonde avec Vallès le Cri du peuple, en octobre 1883. Elle a 28 ans !
À la mort de Vallès, en 1885, elle prendra la direction du journal, bientôt chassée par les «sectaires» de Jules Guesde. Elle écrira dans « Adieu », lorsqu’elle quitte le journal :
« Mais je commence à croire que je suis trop libertaire pour écrire jamais dans un journal de l’école socialiste ». Elle fera alors « l’école buissonnière de la révolution ».
Séverine fut ainsi de tous les combats de l’époque :
− Elle prit parti pour Dreyfus.
− Pour les droits de l’homme et l’abolition de la peine de mort ;
− Pour les droits de la femme : le droit d’étudier, de divorcer, d’avorter : « L’avortement est une fatalité, pas un crime », dit-elle.
Elle ne fut pas à proprement parler « féministe » : le mot ne sera créé qu’en 1892 ; mais, en 1897, avec Marguerite Durand, elle crée la Fronde, un quotidien entièrement confectionné par des femmes : il y a même des typotes et non pas des typographes pour composer le journal.
« Demandez la Fronde, l’organe des femmes », osaient crier les camelots avec esprit.
Le journal cessera sa parution en 1903. À ce moment, les demandes d’articles pour d’autres journaux se font rares. Alors Séverine, qui pourtant détestait prendre la parole en public, et bien conseillée par Sarah Bernhardt, découvrit qu’elle pouvait aussi être une oratrice de qualité, appréciée à Bruxelles comme à Lausanne… et ailleurs.
Il faut dire que c’était une vedette à l’époque !
− Les droits de l’enfant furent aussi son combat, suivant en cela Vallès.
− Journaliste, elle pratiqua son métier « à l’américaine », comme on disait alors, c’est-à-dire qu’elle allait sur le terrain.
En 1887, elle se rend à l’Opéra Comique marcher dans les cendres encore chaudes de l’incendie.
En 1890, elle descend dans la mine à Saint-Étienne après une explosion de grisou.
− Séverine était antimilitariste : en pleine guerre 14-18, elle participa à un groupe pacifiste ;
− Séverine était antiraciste, appelant à « libérer la race blanche des fers du préjugé ».
− Séverine était antifasciste, dénonçant Mussolini dès 1925.
Outre les articles qu’elle y écrivait, elle avait dans les journaux un carnet de dons pour les pauvres, ce qui lui valut le qualificatif de « Notre Dame de la larme à l’œil ».
Séverine fit des erreurs, des écarts, elle eut des collaborations douteuses :
Comme elle était très orgueilleuse et très sûre d’elle, elle osait penser qu’elle pouvait écrire dans n’importe quel journal, « croyant pouvoir y imposer son indépendance ».
Ainsi elle donna des papiers à la Libre Parole de l’antisémite Drumont, antiparlementariste comme elle. Plus tard, elle reconnut son erreur. Ainsi elle n’a jamais souhaité briguer un quelconque poste officiel, disant à ceux qui les sollicitaient : « Bon appétit, en ce cas ! Mangez, moi je préfère, Liberté, ton pain dur ! »
Elle a pourtant soutenu les femmes qui demandaient le droit de vote.
Elle pencha un instant pour le général Boulanger…
Elle adhéra au Parti communiste naissant pour bientôt être mise dehors en 1923. Obligée de choisir entre la Ligue des droits de l’homme et le Parti, elle choisit la Ligue.
Si Séverine n’était pas anarchiste, pas encartée, elle était quand même un peu trop libertaire au goût de certains…

SharePARTAGER
Ce contenu a été publié dans Achaïra, Chronique de lectures d'André, Femmes libertaires. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

 

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.